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Dieu ! rester là exclue de sa tendresse et délaissée ! et n’avoir pas, depuis cette heure fatale, vu la figure de son père, ni touché seulement sa main !

Pauvre petite ! depuis cette heure fatale aussi, elle n’aurait jamais pu s’endormir et ne l’avait jamais fait, sans être allée chaque fois accomplir son pèlerinage à la porte de M. Dombey. Étrange et triste spectacle à la fois pour qui l’eût vue descendre à la dérobée l’escalier, d’un pas furtif et léger, dans la nuit obscure, s’arrêter devant cette porte, le cœur palpitant, les yeux voilés de larmes, les cheveux flottant négligemment sur ses épaules, pour y appuyer sa joue humide. Mais la nuit la couvrait de son ombre et personne ne savait ce qui se passait.

Ce soir-là, à peine eut-elle touché la porte, qu’elle s’aperçut qu’elle était ouverte. C’était la première fois. Il est vrai que ce n’était guère que de l’épaisseur d’un cheveu ; mais cette ouverture suffisait pour laisser apercevoir de la lumière à l’intérieur. Le premier instinct de la timide enfant fut de reculer vivement ; ce qu’elle fit aussitôt ; la réflexion lui donna l’envie de revenir sur ses pas et d’entrer, mais cette fois elle resta longtemps indécise sur le palier.

Dans cette porte ouverte, si peu que ce fût, il y avait une espérance. Cette raie de lumière, qui s’échappait de l’intérieur, et glissait à travers la fente de la sombre porte pour venir dessiner un mince filet sur le seuil de marbre, semblait être un encouragement. Elle revint sur ses pas, sachant à peine ce qu’elle faisait, mais poussée par son amour et par le sentiment de la perte commune qu’ils avaient subie ensemble, sans la partager entre eux, elle se glissa dans la chambre, les mains levées et tremblantes.

Son père était assis au milieu, devant sa vieille table. Il avait mis en ordre certains papiers : il en avait détruit d’autres, dont les débris étaient encore à ses pieds ; la pluie tombait lourdement sur le châssis vitré de la chambre du fond, où tant de fois il était allé voir le pauvre Paul dans son berceau ; et l’on entendait au dehors les sourds mugissements du vent.

Mais lui n’entendait rien. Il était assis, les yeux fixés sur la table, et plongé dans des réflexions si profondes qu’un pas bien autrement lourd que le pas léger de sa fille n’aurait pu le réveiller. Son visage était tourné de son côté. À la clarté affaiblie de la lampe, et à cette heure mystérieuse, il parais-