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— Le plus souvent sous terre, jusqu’à mon mariage, répondit Toodle. Pour le quart d’heure, je travaille dessus. Je vais être occupé bientôt sur des chemins de fer ici près, quand ils seront en activité. »

C’était, pour M. Dombey, la goutte d’eau qui fait déborder le verre ; il n’en put entendre davantage, et montra la porte au père nourricier de Dombey fils, qui n’était pas non plus fâché de sortir. Puis, s’enfermant à la clef, M. Dombey se promena de long en large dans la chambre, s’abandonnant à son désespoir. Malgré la roideur empesée de son maintien et l’impassible dignité de sa personne, il n’en essuya pas moins deux larmes qui roulaient dans ses yeux, et répéta plusieurs fois, avec une émotion que, pour rien au monde, il n’eût voulu laisser voir à d’autres : « Pauvre petit ! pauvre petit ! »

M. Dombey, dans son orgueil, ne souffrait que du malheur de son fils. Il ne disait pas : « Malheureux que je suis ! pauvre veuf, forcé de donner ma confiance à la femme d’un rustre, qui a travaillé presque toute sa vie sous terre, et à la porte duquel, pourtant, la mort n’a jamais frappé, et qui voit chaque jour quatre fils assis à sa table. Mais il disait : pauvre petit ! »

Tout à coup, il lui vint à l’esprit, et c’est une preuve de la forte attraction qui faisait tendre toutes ses espérances, toutes ses craintes, toutes ses pensées vers un même centre, il lui vint à l’esprit qu’une violente tentation pouvait s’emparer de la nourrice. Son enfant était un garçon aussi, n’était-il pas possible qu’elle lui changeât son fils ?

M. Dombey écarta bientôt cette idée comme romanesque et invraisemblable, quoique possible pourtant à la rigueur, et, sans vouloir s’y arrêter, il ne put s’empêcher de se demander ce qu’il ferait, s’il venait à découvrir une telle imposture dans sa vieillesse. Un homme à qui cela arriverait pourrait-il bien dans ce cas enlever à l’enfant supposé le fruit de tant d’années d’habitude, de confiance et de foi pour en combler un autre qui lui serait devenu étranger ?

À mesure que se calmait cette émotion inaccoutumée, les soupçons qui avaient traversé son esprit s’effaçaient, laissant cependant derrière eux une impression assez réelle pour lui faire prendre la résolution de surveiller lui-même Richard, et de près, sans qu’elle s’en doutât. Après avoir pris cette résolution, il se trouva plus à son aise, et pensa que la condition malheureuse de cette femme était une circonstance plutôt favorable, puisqu’elle mettait une plus grande distance entre