Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main dans la sienne et le conduisait en haut. Florence la voyait ensuite assise auprès de lui, ou bien sur ses genoux, ou bien encore pendue tendrement à son cou et causant avec lui ; et, quoique toujours ils fussent gais ensemble, quelquefois il la regardait comme s’il voyait en elle une ressemblance avec sa mère qui n’était plus. Florence alors ne pouvait regarder plus longtemps ce spectacle, et, fondant en larmes, elle se cachait derrière le rideau comme si elle eût eu peur, ou s’éloignait vivement de la fenêtre. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’y revenir, et son ouvrage tombait bientôt encore de ses mains sans qu’elle s’en aperçût.

Cette maison était celle qui, pendant bien des années, était restée inhabitée. À la fin, en l’absence de Florence, cette famille l’avait louée. Elle avait été réparée et repeinte à neuf ; c’étaient partout des fleurs et des oiseaux, et elle ne ressemblait plus à ce qu’elle avait été autrefois. Mais Florence ne s’occupait guère de la maison. Le père, le père avec ses enfants, elle ne voyait pas autre chose.

Quand il avait dîné, Florence, à travers les croisées qui étaient ouvertes, les voyait descendre avec leur gouvernante ou avec leur bonne et se ranger autour de la table. Pendant l’été, le son de leurs voix enfantines et leurs joyeux éclats de rire traversaient la rue et venaient se répéter dans la sombre chambre où elle était assise. Puis elles remontaient en sautant, en gambadant avec lui, grimpaient autour de lui sur le canapé, ou se groupaient à ses pieds, vrai bouquet de fraîches figures, pour écouter une histoire qu’il semblait leur raconter. Quelquefois elles accouraient sur le balcon, et Florence se cachait bien vite pour ne pas glacer leur joie avec sa robe noire, assise là toute seule en grand deuil.

L’aînée restait avec son père, quand ses petites sœurs étaient parties, et lui préparait son thé, ô heureuse petite ménagère ! puis elle causait avec lui soit à la croisée, soit dans la chambre, en attendant les lumières. Il en faisait sa compagne, quoiqu’elle eût quelques années de moins que Florence, et elle prenait l’air grave et sérieux d’une petite femme, son livre ou sa broderie à la main ; quand on avait apporté les lumières, Florence pouvait, de son coin noir, les regarder encore mieux à son aise, et n’en bougeait pas. Mais quand l’heure était venue où l’enfant tendait sa joue à son père, en lui disant : « Bonsoir, papa, » avant d’aller se reposer, Florence tremblait et sanglotait, et ne pouvait plus regarder.