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dorées qui ondulaient encore comme autrefois sur le mur, pendant les belles journées, les regardant monter et descendre peu à peu. Bientôt cette chambre la revit souvent, assise là, toute seule, aussi douce, aussi patiente qu’au moment où elle avait veillé auprès du petit lit. Quand la pensée douloureuse qu’il était vide alors venait troubler son âme, elle se mettait à genoux et priait Dieu (c’est ainsi qu’elle soulageait son cœur) de permettre à un de ses petits anges de l’aimer et de se souvenir toujours d’elle.

Bientôt sa douce voix, sous les murs de cette demeure triste et sombre, fit entendre le soir, lentement, en s’interrompant souvent, ce vieil air qu’il avait tant de fois écouté, sa petite tête appuyée sur son épaule. Et puis, quand la nuit était venue tout à fait, on entendait murmurer dans la chambre quelques accords sur sa harpe ; elle jouait si doucement, chantait si bas, qu’on eût dit l’écho plaintif de l’air qu’elle avait joué à sa demande le soir fatal, plutôt que l’air lui-même réellement répété. Mais il fut répété souvent, bien souvent dans les ténèbres de sa solitude, et les sons entrecoupés tremblaient encore sur la corde, que la douce voix était noyée dans les larmes.

C’est ainsi que, peu à peu, le courage lui revint de jeter les yeux sur l’ouvrage, dont ses doigts s’étaient occupés, lorsqu’elle était assise, à ses côtés, au bord de la mer ; puis arrive le moment où elle le reprit, avec une sorte d’amour, comme si cet ouvrage eût été un être animé qui l’avait connu. Et alors, assise à la croisée tout près du portrait de sa mère, dans cette chambre si longtemps déserte elle passait des heures à penser tristement.

Pourquoi ses yeux noirs se levaient-ils si souvent de dessus son ouvrage pour regarder les enfants roses qui habitaient en face ? Ce n’était certes pas une ressemblance directe avec son frère, car ces enfants étaient des filles : quatre petites sœurs. Mais, comme elle, elles avaient perdu leur mère, et elles avaient un père.

Il était facile de voir s’il était sorti et attendu ; car alors sa fille aînée, toujours habillée pour le recevoir, ne manquait pas de se placer à la fenêtre du salon ou sur le balcon pour le voir arriver, et, du plus loin qu’elle l’apercevait, sa figure, jusque-là soucieuse, brillait de joie, pendant que les autres, à la croisée d’en haut, d’où elles épiaient aussi son retour, battaient des mains et tambourinaient sur le balcon, en appelant papa. L’aînée descendait dans le vestibule, mettait sa