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un crocodile ; quoique pourtant la sympathie de cette dame semblât sincère et qu’elle eût au moins l’avantage d’être bien désintéressée : dans le fait, elle n’y gagnait pas grand’chose.

Eh quoi ! n’y avait-il donc pas une personne plus proche et plus aimée que Suzanne, pour guérir ce cœur déchiré par la douleur ? pas d’autres bras où Florence pût se jeter dans sa détresse ? pas d’autre visage à contempler, pas d’autre bouche pour calmer par de douces paroles une affliction si profonde ? Florence était-elle donc si abandonnée dans ce triste monde, qu’il ne lui restât pas autre chose ? Hélas ! c’était tout. Privée, à la fois, de sa mère et de son frère, car la perte du petit Paul lui faisait sentir plus vivement la perte de sa mère, Florence n’avait d’autre consolatrice que Suzanne. Et qui peut dire combien son cœur avait besoin, dans ces premiers moments, d’être consolé ! Dans les premiers temps, quand la maison eut repris son aspect accoutumé ; que tout le monde fut parti, à l’exception des domestiques et de son père qui se tenait enfermé dans sa chambre, Florence ne put que pleurer, et monter et descendre tout en larmes. Quelquefois, dans un accès de douloureux souvenir, elle courait dans sa chambre, se tordait les mains de désespoir, cachait sa figure sur son lit et ne voulait aucune consolation ; elle ne voyait que l’amertume et l’étendue de son malheur. Ces crises lui revenaient d’ordinaire devant un lieu ou un objet qui se rattachait par un tendre souvenir à celui de son frère, et faisait de la triste maison un lieu de souffrance et d’agonie pour elle.

Mais il n’est pas dans la nature d’un amour pur de se consumer toujours dans ces accès violents et terribles. Une flamme allumée par des éléments grossiers et terrestres peut ronger et dévorer le cœur qui lui a donné asile ; il n’en est pas de même du feu sacré qui descend du ciel. Flamme céleste ! elle est aussi bienfaisante au cœur qu’elle le fut autrefois pour les douze apôtres, quand, se posant sur leur tête, elle leur fit voir dans chaque homme un frère, entouré sans danger d’une lumière radieuse, mais innocente. Aussitôt l’image du petit Pau évoquée, le calme rentrait dans le cœur de Florence : ce n’étaient plus des cris de désespoir, et dans ses yeux se lisaient l’amour, la confiance et la paix. Ses larmes coulaient encore, il est vrai ; mais c’étaient de douces larmes, et elle caressait le tendre souvenir qui les faisait couler.

Bientôt ses yeux purent se fixer plus calmes sur les vagues