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combien de fois, chez Mme Pipchin, elle avait prédit ce malheur, boit plus que de coutume et parait fort affligée, sans cesser d’être fort aimable. La cuisinière est sous la même influence ; elle promet une petite friture pour le souper, et se débat, dans ses larmes, contre sa sensibilité et les oignons qu’elle épluche. Towlinson commence à croire qu’il y a là une fatalité et demande si jamais on a entendu dire que d’habiter un coin de rue ait porté bonheur à personne. À tous il semble que la mort du petit Paul soit arrivée depuis longtemps déjà, et l’enfant pourtant repose encore, calme et beau, sur son petit lit.

Le soir, viennent quelques visiteurs, visiteurs silencieux, aux souliers de feutre, les mêmes que l’on a vus déjà il y a quelques années. Ils apportent avec eux ce lit de repos si étrange pour le sommeil d’un enfant. Pendant tout ce temps, le père, si cruellement frappé, n’a été vu par personne, pas même par son domestique : il est assis dans le coin le plus reculé de sa triste chambre, seul avec lui-même, sans remuer, sinon pour faire quelques pas de temps à autre. Le matin cependant, on dit tout bas à la cuisine qu’on l’a entendu monter au milieu de la nuit dans la chambre du petit Paul, et qu’il y est resté jusqu’au lever du soleil.

Dans les bureaux de la Cité, les carreaux dépolis sont encore obscurcis par les jalousies que l’on a fermées, et, tandis que le jour, qui pénètre avec peine dans les pièces, fait pâlir la lumière des lampes sur les pupitres, la lumière des lampes aussi semble faire pâlir le jour et une obscurité inaccoutumée règne partout. On travaille fort peu. Les employés sont mal disposés, et s’invitent à un rendez-vous de côtelettes dans l’après-midi, avant d’aller se promener en bateau. Perch, l’homme de peine, n’en finit pas dans ses courses. On le voit devant les comptoirs des tavernes, buvant avec des amis qui le retiennent et pérorant sur la fragilité des choses de ce monde. Il rentre chez lui à Balls-Pond plus tôt que de coutume et régale Mme Perch d’une côtelette de veau et d’une chope de bonne bière. M. Carker le gérant ne traite personne, et n’est traité par personne. Seul dans sa chambre, il montre ses dents tout le long du jour. On dirait qu’un obstacle vient d’être écarté de la route de M. Carker et qu’il n’a plus maintenant qu’à avancer.

Mais voici que les jolis enfants roses, qui habitent en face de M. Dombey, regardent tous dans la rue par les croisées de