Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le monde entier et sa femme par-dessus le marché, comme l’on dit, » répondit le capitaine tout joyeux.

À ces mots sa femme, qu’il avait du reste prononcé sans dessein, le capitaine s’arrêta, cligna de l’œil derechef et mettant son chapeau de toile cirée au bout de son bâton noueux ; il lui fit faire un tour rapide en regardant de côté son ami toujours souriant.

« Je parierais une bouteille de vieux jamaïque que je sais ce qui vous fait sourire, dit le capitaine en le regardant attentivement.

— Voyons ? dit M. Carker en riant plus fort.

— Cela n’ira pas plus loin ? fit le capitaine en donnant avec son bâton noueux un coup dans la porte pour s’assurer qu’elle était fermée.

— Non, soyez tranquille, dit M. Carker.

— Eh bien ! ce que vous pensez, j’en suis sûr, commence par un F majuscule ? »

M. Carker ne nia pas le fait.

« Puis un L, puis un 0 ? »

M. Carker souriait toujours.

« Ai-je encore raison ? » dit le capitaine à voix basse pendant que la joie gonflait sur son front le cercle écarlate formé par son chapeau.

M. Carker, pour réponse, sourit en faisant encore un signe d’assentiment et le capitaine Carker s’étant levé, lui serra la main, l’assurant avec feu, qu’ils couraient tous deux la même bordée et que pour lui, Cuttle, il y avait longtemps qu’il avait mis son cap de ce côté.

« Il a fait sa connaissance d’une manière tout à fait singulière, dit le capitaine, du ton grave et retenu que réclamait le sujet. Vous vous rappelez comme il l’a trouvée dans la rue, quand elle n’était encore qu’une enfant ; depuis ils se sont aimés tous deux autant que le peuvent faire deux amoureux de cet âge. Nous avons toujours dit, Sol Gills et moi, qu’ils sont taillés l’un pour l’autre. »

Un chat, un singe, une hyène, ou une tête de mort n’aurait pas pu montrer à la fois au capitaine un râtelier de dents plus complet que ne le fit M. Carker à ce moment de leur entrevue.

« Le courant y va tout droit, dit l’heureux capitaine. Le vent et l’eau sont d’accord, vous voyez. Quelle chance pour lui de s’être trouvé là l’autre jour ?