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mettrait à la voile dans quinze ou seize jours au plus tard. Ahuri par les embarras des préparatifs que Walter n’eut garde de diminuer, le brave opticien perdit le peu de tête qu’il avait jamais eue, et n’avait pas eu le temps de penser au départ que le départ était déjà arrivé.

Le capitaine, qui ne manquait pas de se faire tenir, jour par jour, au courant de ce qui se passait par les questions qu’il faisait à Walter, vit approcher ce moment sans avoir pu trouver ni espérer l’occasion d’approfondir sa situation. Ce fut après avoir mûrement réfléchi et profondément médité sur ce fâcheux contre-temps, qu’une idée lumineuse s’empara du capitaine. Pourquoi n’irait-il pas trouver M. Carker pour tirer de lui quelque chose et sonder le terrain ?

Cette idée plut beaucoup au capitaine. Elle lui vint dans un moment d’inspiration, pendant qu’il fumait le matin sa pipe dans Brig-place après son déjeuner ; vraiment il devait de la reconnaissance au tabac ! Ce serait un moyen de calmer sa conscience, tout honnête qu’elle était, mais enfin un peu troublée par les confidences de Walter et les paroles de Sol Gills, et en même temps ce serait un trait d’amitié de sa part, plein de dévouement et d’habileté. Il sonderait adroitement M. Carker et, suivant le caractère que montrerait ce personnage, il saurait parler ou se taire ; il aurait bientôt découvert s’ils s’entendaient oui ou non.

En conséquence, sans craindre de rencontrer Walter (qu’il savait occupé à faire chez lui ses paquets), le capitaine, chaussé de nouveau de ses étroits brodequins et sa cravate ornée de son épingle de deuil, se mit en route pour cette seconde expédition. Il ne fit pas emplette cette fois d’un bouquet propitiatoire, déplacé dans un rendez-vous d’affaires, mais il mit à sa boutonnière un soleil pour se décorer d’un petit air champêtre ; puis, son bâton noueux à la main, et son chapeau de toile cirée sur la tête, il cingla droit sur les bureaux de Dombey et fils.

Après avoir pris un grog au rhum bien chaud dans une taverne tout près de là, pour rendre ses idées plus nettes, le capitaine, de peur d’en laisser évaporer les effets bienfaisants, ne fit qu’un bond dans la cour, et parut tout à coup devant M. Perch.

« Camarade, dit le capitaine d’un ton insinuant, n’avez-vous pas un de vos amiraux qui porte le nom de Carker ?

— Oui, monsieur, répondit Perch ; mais il est de mon de-