Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Walter, mon garçon, dit le capitaine, bellement ; Sol Gills, regardez votre neveu ! »

Suivant de ses yeux le geste plein de majesté que fit avec son croc le capitaine, le vieillard regarda Walter.

« Voilà un bâtiment qui va partir en voyage, dit le capitaine comme pénétré de la magnifique comparaison dans laquelle il allait se lancer. Quel nom va-t-il porter écrit sur sa proue en caractères ineffaçables ? Est-ce le Gay ? ou bien (et le capitaine éleva la voix comme pour attirer l’attention sur la fin de sa période, ou bien, est-ce le Gills ?

— Cuttle, dit le vieillard en attirant Walter près de lui, et passant affectueusement son bras dans le sien ; je le sais, je le sais ; je suis bien sûr que Walter pense toujours à moi plus qu’à lui. Je serais bien fâché de croire le contraire. Quand je dis qu’il est content de partir, je veux dire que j’espère bien qu’il l’est. Mais voyez-vous, Cuttle, et vous aussi, Walter, mon cher enfant, c’est si nouveau, si inattendu pour moi ! J’ai peur que mon peu de succès dans les affaires et ma pauvreté ne soient pour quelque chose au fond de cette résolution. Est-ce vraiment pour lui une bonne fortune ? dit le vieillard en les regardant avec inquiétude l’un après l’autre. Voyons, réellement et sincèrement, qu’est-ce que vous en dites ? Est-ce heureux pour lui ? Je peux me résigner à quoi que ce soit pour l’avantage de Walter ; mais je ne pourrais supporter l’idée que mon petit Wally courût le moindre risque pour moi ou qu’il me cachât quelque chose. Voyons, Cuttle, vous, mon vieil ami, dit le vieillard en serrant de près le capitaine, à la grande confusion de cet habile diplomate ; êtes-vous bien sincère avec votre vieil ami ? Parlez, Cuttle, n’y a-t-il pas quelque chose là-dessous ? Faut-il qu’il parte ? Comment se fait-il que vous ayez su tout cela avant moi, et pourquoi ? »

Walter, dans cette lutte de tendresse et d’abnégation, vint avec chaleur au secours du capitaine. À eux deux ils parvinrent à réconcilier à peu près le vieux Sol Gills avec le projet en question, à force de lui en faire valoir les avantages, ou plutôt ils l’étourdirent si bien qu’il devint incapable de rien voir ni de rien sentir distinctement, pas même la douleur de cette séparation.

Du reste, il n’avait pas grand temps pour peser le pour et le contre, car le lendemain même Walter reçut de M. Carker le gérant les instructions relatives à son départ et à son bagage. Avis lui était en même temps donné, que le Fils-et-héritier