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c’était moins le sentiment de la perte qu’il avait faite lui-même que de celle qui pesait sur son enfant, qui éveillait en lui une espèce de chagrin mêlé de dépit. Quelle cruelle humiliation de penser qu’une existence sur laquelle il avait fondé tout son espoir, fût compromise dès le premier jour, et pourquoi ? La maison Dombey et fils périrait-elle faute d’une nourrice ? M. Dombey était blessé dans son orgueil et dans son affection jalouse pour son enfant. Au moment même où se réalisait le plus cher de ses vœux, il se voyait à la merci d’une femme à gages, qui allait être pour son enfant tout ce que son alliance aurait fait de sa propre femme. Amère pensée qui lui faisait trouver une sorte de plaisir à écarter les sujets qui se présentaient ! Cependant le moment était venu où il ne pouvait plus hésiter. D’ailleurs, il n’y avait rien à reprocher à Polly Toodle, au dire de sa sœur qui ne tarissait pas en éloges sur l’infatigable amitié de miss Tox.

« Ces enfants paraissent bien portants, dit M. Dombey ; mais quand je songe qu’un jour ils pourront se targuer d’une sorte de parenté avec Paul. Oh ! tenez, Louisa, emmenez-les. Faites venir cette femme et son mari. »

Mme Chick emporta les deux petits Toodle et revint bientôt suivie du père et de la mère que M. Dombey avait demandés.

« Ma brave femme, dit-il en se retournant tout d’une pièce dans son fauteuil, on me dit que vous êtes pauvre et que vous voulez gagner de l’argent en nourrissant ce petit garçon, mon fils, pauvre enfant privé si prématurément de ce qu’on ne peut remplacer ! Je n’ai aucune objection à faire au moyen que vous employez pour venir en aide à votre famille. D’après ce que je vois, vous êtes une personne méritante ; mais je vous imposerai une ou deux conditions avant de vous recevoir chez moi en cette qualité. Tant que vous resterez ici, j’exige que vous portiez toujours le nom de… de Richard ; nom simple et convenable. Consentez-vous à vous appeler Richard ? Du reste, vous pouvez consulter votre mari. »

Comme le mari continuait à rire de sa façon niaise et stupide, s’essuyant continuellement la bouche du revers de la main, Mme Toodle le poussa deux ou trois fois du coude pour le faire parler, mais sans succès ; elle fit alors une révérence, et répondit que, si elle devait sacrifier son nom, elle espérait qu’on en tiendrait compte dans les gages.

« Oh, sans difficulté ; je ne demande pas mieux que d’en