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les mêmes paroles plusieurs fois, et avec un accent de sincérité profonde ; depuis, il ne le revit jamais ni le jour ni la nuit, dans sa chambre, mais il ne l’en appelait pas moins, lui criant toujours : « Ne vous affligez pas pour moi ! Je suis très-heureux, je vous assure. » C’est ainsi qu’il prit l’habitude de dire chaque matin qu’il allait mieux et qu’il fallait le dire à son père.

Combien de fois les vagues dorées se balancèrent-elles sur le mur ? Combien de nuits le fleuve bien noir, bien noir coula-t-il vers la mer, malgré ses efforts pour l’arrêter ? Paul ne les compta pas et ne chercha pas à le savoir. Mais s’il était possible que l’affection dont il était entouré s’accrût ainsi que sa reconnaissance, chaque jour on lui témoignait plus d’intérêt, et lui, il en montrait plus de gratitude. Que les jours se suivissent, qu’ils fussent plus ou moins nombreux, le pauvre enfant en était venu à ne plus en apprécier le nombre.

Une nuit, il venait de penser à sa mère et à son portrait qui se trouvait en bas dans le salon. Il s’était dit qu’elle avait dû aimer la bonne Florence beaucoup plus que ne faisait son père, puisqu’elle l’avait prise dans ses bras, quand elle s’était sentie mourir ; car lui, son frère qui l’aimait si tendrement, n’avait pas non plus d’autre désir. Le cours de ses pensées l’amena à se demander s’il avait jamais vu sa mère ; car il lui était impossible de se rappeler si on le lui avait dit, oui ou non ; ce soir-là le fleuve coulait si vite et troublait tellement ses pensées !

« Florence, ai-je jamais vu maman ?

— Non, mon ami ; pourquoi ?

— N’ai-je jamais vu une tendre figure comme celle d’une mère me regarder quand j’étais tout petit ? dites, Florence ? »

Il faisait cette question d’un air incertain, comme s’il avait quelque image confuse qui traversait son souvenir.

« Oh ! oui, chéri !

— Laquelle, Florence ?

— Celle de votre vieille nourrice, bien souvent.

— Et où donc est-elle ma vieille nourrice ? dit Paul. Est-ce qu’elle est morte aussi ? Florence, est-ce que nous sommes morts tous, excepté vous ? »

À ces mots il se fit un mouvement dans la chambre, cela dura plus longtemps peut-être, qui sait ? puis le calme revint ; pendant quelques instants Florence, bien pâle, mais souriante, soutenait la tête de son frère sur son bras : son bras tremblait bien fort.