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du chemin de Staggs-gardens, que le cocher pouvait à peine le suivre.

Il n’y avait plus de Staggs-gardens ; Staggs-gardens avait disparu. À la place des vieilles petites baraques de bois s’élevaient de riches palais, dont les colonnes de granit ouvraient, à travers leurs portiques élégants, une vue prolongée sur le chemin de fer. Le grand et misérable terrain où s’étaient amoncelées si longtemps les ordures avait été envahi et il n’en restait plus trace. On voyait maintenant, à la place, des rangées de boutiques toutes remplies de riches objets et de marchandises de prix. Ses rues détournées d’autrefois fourmillaient à présent de voyageurs et de voitures de toute espèce. Ses rues nouvelles, qui longtemps étaient restées inachevées dans la bourbe, sans pouvoir sortir des ornières, formaient maintenant des villas qui offraient tout ce que l’on peut désirer en fait de confort et d’agrément, et devenaient la source d’une foule de jouissances ignorées dans le quartier, jusqu’au jour où elles étaient sorties de terre comme des champignons. Les ponts, qui, dans le temps, ne menaient à rien, conduisaient aujourd’hui à des lieux de plaisance, à des jardins, à des églises, à des promenades salubres. Ces carcasses de maisons et ces embryons de rues neuves avaient marché sur toute la ligne à fond de train ; elles s’étaient avancées, comme à la vapeur, jusque dans la campagne, semblables à un convoi monstre.

Quant au voisinage qui avait hésité à reconnaître le chemin de fer dans ses jours de lutte, il était devenu sage et repentant comme tout bon chrétien doit être en pareil cas, et maintenant il se faisait gloire de son puissant et riche parrain. On trouvait des modèles de chemin de fer sur les mouchoirs de ses marchands de nouveautés, et des journaux de chemin de fer aux vitres de ses marchands de journaux. De tous côtés le chemin de fer donnait à tout son nom : aux hôtels, aux cafés, aux chambres garnies, aux pensions bourgeoises ; tout était au chemin de fer, plans, cartes, vues, couvertures de voyage, flacons, paniers à provisions, et tableaux des départs. Des stations de fiacres et de cabriolets du chemin de fer ; des omnibus du chemin de fer. Il y avait la rue du chemin de fer, la cité du chemin de fer ; partout on ne rencontrait que des flâneurs parasites, des courtisans de chemins de fer, vivant à ses dépens. L’heure du chemin de fer était la seule qu’on vit partout sur les cadrans, comme si le soleil lui-