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lui dire tout bas qu’à cette époque, s’il était encore de ce monde, il serait bien loin par delà les mers et oublié, tandis qu’elle serait mariée, riche, fière et heureuse. Quelle raison y aurait-il alors pour qu’elle se souvînt de lui avec intérêt ? Elle ne penserait pas plus à Walter qu’à un des jouets de son enfance. Et encore seulement y penserait-elle autant ?

Et cependant de cette charmante enfant qu’il avait trouvée perdue dans les rues, il s’était fait un tel idéal ; son innocente reconnaissance ce jour-là, la naïveté, la sincérité de ses paroles s’identifiaient tellement avec elle, que Walter, en se disant qu’un jour peut-être elle serait fière, se sentait rougir comme s’il se reprochait de lui faire injure. D’un autre côté, s’il venait à songer que jamais elle pût se marier, il lui semblait que c’était l’outrager non moins cruellement. Décidément, il ne pouvait penser à elle sans revoir toujours cette petite fille si candide, si innocente, si attrayante enfin qu’il avait vue du temps de la bonne Mme Brown. En un mot, Walter s’aperçut que raisonner sur Florence c’était perdre la raison, et qu’il n’avait rien de mieux à faire que de garder son image dans son cœur comme un talisman précieux, insaisissable, invariable, indéfinissable, oui, indéfinissable, si ce n’est qu’en songeant à elle il était sûr d’être heureux, et que sa seule image suffisait pour le détourner du mal comme ferait un bon ange.

Walter erra longtemps dans les champs ce jour-là. Il écoutait chanter les oiseaux, sonner les cloches du dimanche et murmurer les bruits lointains de la ville. Il respirait un air pur, et, regardant parfois au loin, dans les profondeurs de l’horizon, la route qu’il aurait à suivre et le but de son voyage, il ramenait ensuite ses regards sur les vertes prairies de l’Angleterre et les beaux sites de sa patrie. Mais ce fut à peine s’il pensa une fois sérieusement à son départ ; il éloignait nonchalamment cette idée d’heure en heure, de minute en minute, pour continuer de réfléchir toujours sur le même sujet.

Walter avait laissé les champs derrière lui et regagnait sa demeure tout absorbé par ses pensées, quand il entendit tout à coup une voix d’homme qui le hélait, puis, au même instant, une voix de femme qui l’appelait par son nom. Tout surpris, il se retourna aussitôt et s’aperçut qu’un fiacre, qui suivait une direction contraire à la sienne, venait de s’arrêter non loin de lui. Le cocher, penché sur son siège, se retournait pour lui faire des signes avec son fouet, et une jeune femme,