vement d’endosser pour le moment les habits que lui tendait l’autre, et le prévint qu’avant d’aborder une question si grave, il avait besoin de se ronger un peu les ongles.
« C’est une vieille habitude que j’ai prise depuis cinquante ans, Walter, dit le capitaine. Et quand vous voyez Cuttle se ronger les ongles, mon garçon, vous pouvez dire que Cuttle est enfoncé. »
Le capitaine donc mit son croc entre ses dents pour se ronger les ongles, et considéra le sujet dans toutes ses parties avec un air de profonde sagesse, qui prouvait l’importance des réflexions dans lesquelles il était absorbé et la haute portée du problème qu’il voulait résoudre.
« J’ai un ami, murmura le capitaine d’un ton préoccupé ; en ce moment il côtoie Whitby. En voilà un qui vous donnerait son avis sur ce sujet-là comme sur bien d’autres qu’on pourrait lui proposer : il rendrait six points à tous les membres du parlement qu’il les battrait encore. C’est un homme qui a été deux fois jeté par-dessus bord et qui ne s’en porte pas plus mal pour cela. Quand il faisait son apprentissage, il a reçu pendant trois semaines des coups de barres de fer sur la tête en veux-tu en voilà, ce qui ne l’empêche pas d’avoir la tête aussi solide que qui que ce soit sur le continent. »
Malgré son respect pour le capitaine Cuttle, Walter ne put s’empêcher intérieurement de se réjouir de l’absence de cet oracle, et d’espérer que l’on n’aurait recours à la solidité de cet esprit clairvoyant qu’au moment où ses affaires seraient déjà réglées.
« Si vous lui montriez, à cet homme-là, les bouées de votre port de Londres, dit le capitaine Cuttle du même ton, il vous dirait que ça ne ressemble pas plus à des bouées que les boutons de l’habit de votre oncle. Il n’y a pas un de vos vieux marins à jambe de bois qui lui aille à la cheville ; à la cheville, entendez-vous bien, mon garçon.
— Comment se nomme-t-il, capitaine Cuttle ? demanda Walter, décidé à montrer de l’intérêt pour l’ami du capitaine.
— Il se nomme Bunsby, dit le capitaine ; mais pour un homme de sa taille, le nom ne fait rien à la chose. »
Le capitaine n’ajouta pas d’autre explication à la louange qu’il venait de donner à son ami en forme de conclusion, et Walter n’en demanda pas plus long. Car avec la vivacité d’esprit qui lui était naturelle, il se mit à repasser dans sa tête les points importants de son affaire, et s’aperçut bientôt que le