Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pitaine Cuttle ! Que dit donc cette ballade que chantent les matelots ?

« Pour le port de la Barbade !
Camarade,
Gai, gai.
Adieu la vieille Angleterre !
Si chère.
Gai, gai. »

Ici le capitaine répéta en chœur :

Gai, gai, gai, gai.

Le dernier vers arriva jusqu’aux oreilles d’un brave patron de navire qui n’était pas tout à fait à jeun et qui logeait juste en face. Aussitôt, dans son ardeur joyeuse, il saute à bas de son lit, ouvre sa croisée, et, de l’autre côté de la rue et de toute la force de ses poumons, il se met à chanter avec eux le fameux refrain. L’effet fut magnifique. Quand il lui fut impossible de tenir plus longtemps la dernière note, le patron fit entendre un terrible ohé ! en partie comme salut amical, en partie pour prouver qu’il n’avait pas perdu la respiration. Après quoi il referma sa fenêtre et retourna se coucher.

« Et maintenant, capitaine Cuttle, dit Walter en lui tendant son habit et son gilet bleus d’un air affairé, si vous voulez venir annoncer les nouvelles à l’oncle Sol, car il y a déjà longtemps qu’il devrait les connaître, je vais vous quitter à la porte et m’aller promener jusqu’au soir. »

Le capitaine cependant paraissait fort peu goûter la commission, et ne semblait pas avoir en lui-même grande confiance pour l’exécuter. Il avait arrangé la vie future et les aventures de Walter d’une façon si différente et tellement à sa satisfaction ; il s’était tant de fois félicité de ses combinaisons ! Il avait tout pénétré, tout prévu ; tout était si complet, si parfait, que de voir tout d’un coup s’écrouler son rêve et d’aider lui-même à constater cette déconfiture, c’était un grand effort à faire sur lui-même. Et puis ce n’était pas chose facile au capitaine d’évacuer les idées entrées depuis longtemps dans sa tête sur ce sujet, pour les remplacer à bord par une nouvelle cargaison, avec toute la rapidité que réclamait la circonstance, sans confondre tout pêle-mêle et sans embrouiller les affaires. Si bien qu’au lieu d’endosser son gilet et son habit avec une promptitude qui pût répondre à l’agitation de Walter, il refusa positi-