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ché depuis tant d’années, eût pu avancer ses jours, ne pensez-vous pas qu’il puisse aussi mourir plus tôt s’il vient à perdre…

— Son neveu ! s’écria le capitaine, oui, vraiment !

— Eh bien donc ! reprit Walter d’un ton qu’il s’efforçait de rendre gai, il faut faire votre possible pour lui laisser croire que notre séparation, après tout, ne sera que momentanée. Mais, comme je sais le contraire, capitaine Cuttle, ou que j’ai bien peur de le savoir, et comme je dois à mon oncle, pour tant de raisons, toute ma tendresse, ma soumission, mon respect, je crains d’être bien maladroit en cherchant à le tromper. C’est pourquoi je désire si vivement que vous le préveniez, capitaine. Voilà le premier point.

— Tirez au large d’un nœud ou deux, s’écria le capitaine comme dans un rêve.

— Qu’avez-vous dit, capitaine Cuttle ? demanda Walter.

— Tenez bon ! » répondit le capitaine d’un air distrait.

Walter s’arrêta un moment pour voir si le capitaine n’avait rien autre chose à ajouter mais comme il ne disait rien de plus, il continua :

« Voici le second point, capitaine Cuttle. C’est avec peine que je vous le dis ; mais je ne suis pas dans les bonnes grâces de M. Dombey. J’ai toujours cherché à faire de mon mieux, et j’ai toujours fait tout ce que j’ai pu ; mais il ne m’aime pas. Vous me direz qu’on n’est pas maître de ses sympathies ou de ses antipathies. C’est possible. Toujours est-il que je suis bien sûr qu’il ne m’aime pas. Il ne m’envoie pas à la Barbade comme à un poste avantageux ; il dédaigne même de me le faire voir sous un jour plus favorable qu’il ne l’est en réalité, et je doute fort que cette position puisse jamais me faire avancer dans la maison ; il se pourrait même au contraire que ce ne fût jamais pour moi qu’un cul-de-sac. Mon oncle ne doit rien savoir de tout cela, capitaine Cuttle, et il faut même que nous lui fassions voir la chose comme avantageuse et pleine d’avenir. Si je vous dis la vérité, c’est que je désire, dans le cas où il serait possible de me donner un coup de main là-bas, avoir au moins dans mon pays un ami qui connaisse ma véritable situation.

— Walter, mon garçon, répondit le capitaine, dans les Proverbes de Salomon vous lirez les mots suivants : « Puissions-nous ne jamais manquer d’un ami dans le besoin, ni d’une bouteille à lui offrir ! » Quand vous aurez trouvé ce passage, Walter, prenez-en note. »