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selles les unes après les autres ; aussi avait-il bien raison de dire à M. Toots qu’il pourrait s’en repentir le lendemain ! Mme Blimber fut quelque peu effrayée de cette conduite, jusqu’à un certain point inconvenante ; mais ce qui la préoccupait le plus, c’était le changement opéré dans le caractère de la musique. Déjà le musicien commençait à faire entendre de ces airs populaires qui courent les rues, et cela risquait naturellement de blesser lady Skettles. Mais lady Skettles eut la bonté de dire à Mme Blimber qu’elle ne se tourmentât pas de si peu de chose, et ce fut avec la plus grande amabilité qu’elle écouta les explications données par Mme Blimber sur l’entrain de M. Feeder qui allait quelquefois trop loin dans ces circonstances. Lady Skettles trouva même que, pour son état il avait l’air fort bien et daigna ajouter que son genre de coiffure sans prétention lui plaisait infiniment : on se rappelle que M. Feeder avait ses cheveux coupés en brosse.

Pendant un moment d’intervalle entre les quadrilles, lady Skettles dit à Paul qu’il semblait fou de la musique. « Oh ! oui, madame, répondit Paul, et si vous l’aimez comme moi, il faut que vous entendiez chanter ma sœur Florence. » Lady Skettles, au même instant, se rappela qu’elle mourait d’envie d’avoir ce plaisir, et elle supplia Florence de chanter. Mais la jeune fille, effrayée de le faire devant tant de monde, s’y refusait de tout son pouvoir, quand Paul l’appelant près de lui : « Je vous en prie, Florence, lui dit-il, chantez pour moi, petite sœur ! » Aussitôt elle alla droit au piano et commença. Chacun s’écarta un peu pour que Paul pût la regarder à son aise. Quand il la vit assise là toute seule, si jeune, si bonne, si jolie et si tendre pour lui, quand il entendit sa voix cadencée, son timbre si doux et si naturel, la chaîne d’or de toutes ses pensées de bonheur et d’amour s’élever au milieu du silence, il détourna la tête et cacha ses larmes. Et quand on lui dit que la musique était peut-être trop plaintive ou trop mélancolique : « Non, non, répondit-il, elle me va au cœur. »

Tout le monde aimait Florence ; et comment s’en empêcher ! Paul avait bien prévu qu’on l’aimerait tout de suite. Assis dans son coin au milieu de ses oreillers, ses petites mains croisées bien tranquillement et une jambe repliée nonchalamment sous lui, on aurait eu peine à concevoir le bonheur, la joie qui inondait son petit cœur, ou le calme heureux qu’il goûtait pendant qu’il regardait sa sœur. Les éloges prodigués