Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour lui des attentions, autant du moins que cet homme rigide en avait jamais eu auparavant pour aucun enfant de ce monde, et l’on prétendait qu’il avait mêlé quelquefois du porter à la petite bière ordinaire, pour le fortifier.

Mais outre ces privilèges, Paul avait ses entrées dans le cabinet de M. Feeder, d’où il avait emmené deux fois M. Toots pour lui faire prendre l’air, car le jeune homme avait été pris comme de vertige pour avoir voulu essayer d’y fumer un mauvais cigare. C’était pourtant un cigare qu’il avait tiré d’un paquet acheté par lui en cachette sur la barque d’un fameux contrebandier qui lui avait avoué, en confidence, que la douane avait mis sa tête à prix, et que, mort ou vif, deux cents livres sterling étaient promises à celui qui le livrerait. C’était un bon petit cabinet que celui de M. Feeder, avec son lit dans une alcôve fermée. On y voyait une flûte suspendue sur la cheminée. Ce n’est pas que M. Feeder jouât de cet instrument, mais il était, disait-il, décidé à l’apprendre. Il y avait aussi quelques livres et une ligne, parce que M. Feeder était aussi tout à fait décidé à apprendre à pêcher, quand il en aurait le temps. C’était toujours dans le même but que M. Feeder avait acheté d’occasion un charmant petit cornet à pistons, un échiquier avec toutes ses pièces, une grammaire espagnole, une boîte à dessin et une paire de gants pour la boxe. M. Feeder disait qu’il était on ne peut plus décidé à apprendre l’art de se défendre soi-même ; car, selon lui, c’était un devoir pour tout homme de le faire, ne fût-ce que pour protéger, au besoin, une femme insultée.

Mais l’objet capital du mobilier appartenant à M. Feeder était un grand pot vert à tabac, que Toots lui avait rapporté, en cadeau, à la fin des dernières vacances ; il l’avait payé fort cher, comme ayant appartenu en propre au prince régent. Ni M. Toots ni M. Feeder ne pouvaient prendre de ce tabac ou de tout autre, ne fût-ce que quelques grains, sans être saisis tout à coup d’éternuments convulsifs. Néanmoins, c’était leur grand plaisir d’en mouiller avec du thé froid une pleine boîte, de l’étendre sur une feuille de parchemin avec un couteau à papier, et de se dévouer à l’absorber, en en prenant de temps à autre. Tout en bourrant leur nez de cet ingrédient délicieux, ils enduraient avec une constance de martyrs, de véritables tortures, et buvaient, dans l’intervalle, un verre de bière, pour qu’il ne manquât rien à leurs excès glorieux.

Paul, assis en silence avec eux tout près de son protecteur,