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expression triviale et presque violente qui eût répugné à la politesse de cet établissement de bon ton. Les jeunes gens, à la fin de chaque semestre, se rendaient dans leur famille, mais ils ne filaient pas en vacances. Fi donc !

Tozer, constamment torturé et écorché par une cravate blanche bien empesée, d’après la volonté expresse de Mme Tozer sa mère, qui, le destinant à l’état ecclésiastique, ne pouvait l’y préparer de trop bonne heure, Tozer disait, en toute conscience, que, s’il avait pu choisir entre deux maux, il aurait préféré encore rester où il était plutôt que d’aller chez lui. Cette déclaration était sincère, quoique peu d’accord avec certain passage d’une dissertation faite par Tozer sur les vacances, où il disait « que les pensées, les souvenirs de famille éveillaient dans son âme les émotions les plus douces d’espérance et de bonheur, » et où il se comparait à un général romain tout glorieux d’une victoire récente remportée sur les Icéniens, ou chargé des dépouilles carthaginoises, s’avançant vers le Capitole (le Capitole était là pour continuer la comparaison ; au fond c’était la demeure de Mme Tozer). Mais c’est que le pauvre Tozer avait un oncle terrible qui ne se contentait pas seulement, pendant les vacances, de lui faire subir un examen en forme sur les questions les plus abstruses ; il se faisait encore un malin plaisir de lui embrouiller les faits et les détails les plus simples et de les lui présenter tout entortillés, pour qu’il eût la peine de les démêler. Ainsi, par exemple, quand cet oncle importun le conduisait au théâtre, ou bien, toujours sous prétexte de l’amuser, le menait voir un géant, un nain, un magicien ou toute autre curiosité, Tozer s’apercevait que son bourreau d’oncle avait lu d’avance quelques documents classiques sur le sujet : il ne sortait plus avec lui sans tomber dans un état de perplexité affreuse, se cassant la tête à deviner quelle énigme nouvelle il allait avoir à subir et quelles autorités on n’allait pas lui citer pour le confondre.

Quant à Briggs, son père n’y mettait pas tant de finesse. Il ne le laissait jamais seul. Les tortures morales que ce malheureux garçon subissait pendant les vacances étaient si nombreuses et si sévères que les amis de la famille (qui habitait alors à Londres tout près de Bayswater) ne s’approchaient jamais de la belle pièce d’eau de Kensington-Garden sans une crainte vague de voir flotter à la surface le chapeau de Briggs, avec un devoir inachevé sur le bord de l’eau. Briggs donc n’était pas non plus fort enthousiasmé à la pensée des vacan-