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je vous assure, je suis le seul coupable. Par une étourderie, dont je ne saurais trop me blâmer, j’ai… j’ai bien des fois sans doute prononcé le nom de M. Carker, le subalterne, bien inutilement. J’ai laissé son nom glisser souvent de mes lèvres, malgré vos ordres précis. Mais la faute vient de moi, de moi seul, monsieur. Nous n’avons jamais échangé une seule parole sur ce sujet, et bien rarement sur tout autre. Mais je vous avoue que ce n’était pas tout à fait étourderie de ma part, monsieur, ajouta Walter après un moment de silence ; car je me suis senti attiré vers M. Carker depuis le premier jour de mon entrée ici, et je ne pouvais m’empêcher de parler de lui quelquefois, quand je pense à lui si souvent ! »

Walter parlait du fond de son cœur, et dans toute la sincérité de son âme. Car en regardant cette tête inclinée, ces yeux baissés, cette main levée pour demander grâce, il se disait en lui-même : « Pourquoi ne le dirais-je pas, puisque je le pense ? Pourquoi ne pas témoigner en faveur de ce malheureux sans consolation et sans ami ? »

« La vérité est, monsieur Carker, que vous m’avez toujours évité, dit Walter avec des larmes dans les yeux, tant il était ému. Oui, et c’est à mon profond chagrin et à mon sincère regret. Quand je suis entré ici, et toujours depuis, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour être votre ami, autant du moins que je pouvais l’être à mon âge ; mais tous mes efforts ont été inutiles.

— Et remarquez bien, Gay, dit M. Carker en l’arrêtant vivement, qu’ils seront encore bien plus inutiles, si vous persistez à appeler toujours l’attention sur le nom de M. John Carker. Ce n’est pas le moyen de faire plaisir à M. John Carker lui-même. Demandez-lui s’il n’est pas de mon avis.

— C’est vrai, dit le frère, cela n’avance à rien ; cela ne sert qu’à amener des scènes comme celle-ci, et Dieu sait si j’aurais voulu l’éviter. On ne peut me donner de meilleures preuves d’amitié, qu’en m’oubliant, en me laissant suivre ma route sans me questionner, sans faire attention à moi. »

Ces dernières paroles, M. John Carker les prononça bien distinctement comme pour les graver dans la tête de Walter.

« Comme j’ai vu que vous ne retenez guère ce que les autres vous disent, Gay, reprit M. Carker le gérant en se chauffant les mains d’un air de grande satisfaction, j’étais bien aise de vous le faire dire une bonne fois par l’autorité la plus compétente, et il montrait son frère. J’espère que vous ne l’oublierez plus maintenant. C’est tout, Gay, vous pouvez vous retirer. »