Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bey était bien entendu et parfaitement exécuté. Il prenait avec lui un ton de familiarité mesuré sur le sentiment qu’il avait de la distance qui les séparait.

« Monsieur Dombey, d’un homme comme moi à un homme tel que vous, il n’y a aucune marque d’humilité, compatible avec les affaires que nous traitons ensemble, qui puisse me sembler suffisante. J’y renonce, monsieur, j’aime mieux vous l’avouer franchement. Je sens que je ne pourrais jamais parvenir à vous témoigner mon humilité comme je le voudrais, et je compte sur votre indulgence pour me dispenser de l’essayer vainement. » Quand M. Carker eût porté ces paroles imprimées sur une pancarte attachée à sa boutonnière pour les tenir toujours sous les yeux de M. Dombey, il n’aurait pas été plus explicite qu’il ne l’était dans l’expression de ses sentiments.

Tel était Carker le gérant. M. Carker le subalterne, l’ami de Walter, était son frère. Il avait deux ou trois ans de plus que lui, mais il occupait un poste bien inférieur. La place du jeune frère était au haut de l’échelle bureaucratique, et la place du frère aîné tout en bas. Le frère aîné n’avançait pas d’une ligne et ne levait jamais le pied pour monter un échelon. Les jeunes gens lui passaient par-dessus la tête, et montaient, montaient toujours, tandis que lui restait toujours en bas. Il s’était complétement résigné à occuper cette humble condition ; jamais il ne se plaignait, et jamais, bien certainement, il n’espérait faire un pas.

« Comment vous portez-vous ce matin ? » dit M. Carker le gérant, en entrant un jour dans la chambre de M. Dombey, après son arrivée. M. Carker tenait sous son bras une liasse de papiers.

— Comment vous portez-vous, Carker ? dit M. Dombey en se levant de son fauteuil et tournant le dos au feu. Avez-vous là quelque chose pour moi ?

— Je ne pense pas que cela vaille la peine de vous déranger, répondit Carker en feuilletant les papiers. Vous avez une réunion aujourd’hui à trois heures, vous savez ?

— Et une autre à trois heures trois quarts, ajouta M. Dombey.

— Qu’on vous prenne à jamais rien oublier ! s’écria M. Carker en feuilletant encore ses papiers. Si M. Paul hérite de votre mémoire, il ne fera pas bon à lui passer par les mains ; c’était déjà bien assez d’un pour ne pas laisser dormir les affaires.