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Entre M. Dombey et le public, que l’on recevait au milieu du premier bureau, dont il fallait sans doute attribuer l’atmosphère froide et humide au voisinage du glacial Dombey dans son cabinet, se trouvaient deux degrés intermédiaires. M. Carker, dans son bureau, était le premier ; M. Morfin dans le sien était le second. Chacun de ces messieurs occupait une petite pièce, grande à peu près comme un cabinet de bains, ouvrant sur le corridor en dehors de la porte de M. Dombey. M. Carker, en sa qualité de grand vizir, habitait la pièce qui touchait à celle du sultan ; M. Morfin, officier d’un ordre inférieur, habitait la pièce la plus rapprochée des commis.

Le dernier de ces deux messieurs était un vieux garçon, de mine réjouie, avec des yeux noisette, habillé de noir jusqu’au buste ; mais à partir des jambes, ses vêtements étaient de ce gris mélangé, moitié poivre et moitié sel. Ses cheveux noirs étaient tachetés çà et là de quelques mèches grises, comme si le temps les eût éclaboussés en passant, et ses favoris étaient déjà tout blancs. Il avait pour M. Dombey un grand respect et lui rendait les hommages dus à sa position. Mais comme il avait dans le caractère un fonds de gaieté, et ne se sentait jamais à son aise devant ce personnage solennel, il n’éprouvait aucune jalousie des nombreuses conférences dont M. Carker avait l’avantage de jouir avec le patron, et se trouvait heureux au contraire, dans son for intérieur, d’avoir à remplir des fonctions qui l’exposaient rarement à se voir désigné pour un tel honneur. Il était grand amateur de musique dans son genre, après la fermeture des bureaux, et il avait pour son violoncelle une affection toute paternelle. Une fois la semaine il le faisait transporter d’Islington, sa résidence habituelle, à un certain club tout près de la banque, où chaque mercredi des amateurs comme lui se réunissaient pour exécuter des quatuor du genre le plus ébouriffant.

M. Carker était un homme de trente-huit à quarante ans, il avait le teint frais et deux rangées de dents éclatantes, dont la régularité et la blancheur ne faisaient grâce à personne. Il était impossible d’échapper à leur exhibition, car il ne parlait jamais sans les étaler à la vue, et s’était composé un sourire habituel, qui ne passait pas, du reste, le bord de ses lèvres, et ressemblait assez à la grimace d’un chat effarouché. Il affectait de porter une cravate blanche bien roide, à l’exemple de son chef de file, et ses habits, étroitement serrés à sa taille, étaient toujours boutonnés du haut en bas. Son rôle auprès de M. Dom-