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les eût vus relégués au fond de la mer ; puis, dans un lointain obscur, on apercevait, comme un fort détaché, une petite chambre humide, où brûlait toujours une lampe à abat-jour ; elle n’eût pas mal représenté la caverne de quelque monstre marin, regardant de son œil rouge ces mystères de l’Océan.

Quand Perch, l’homme de peine, qui avait sa place sur une petite planchette comme une horloge, voyait entrer M. Dombey, ou plutôt quand il sentait arriver M. Dombey (car il avait habituellement un flair instinctif qui l’avertissait de son approche), il courait dans la chambre de M. Dombey, remuait le feu, tirait des entrailles du seau à charbon des morceaux tout frais, mettait sécher le journal sur le garde-feu, préparait la chaise, posait l’écran à sa place et faisait un demi-tour sur ses talons au moment où entrait M. Dombey, pour le débarrasser de son grand manteau et de son chapeau, et les suspendre à la muraille. Puis Perch prenait le journal, le faisait tourner une ou deux fois dans ses mains devant le feu et le plaçait, avec les marques du plus profond respect, sous la main de M. Dombey. Et Perch trouvait si naturel de témoigner le plus profond respect à M. Dombey, que, s’il eût vécu dans un pays où il pût se coucher à ses pieds, et lui donner quelque titre du genre de ceux que l’on accorde, dans les contes, au calife Haroun-al-Raschid, il ne s’en serait trouvé que plus satisfait et plus honoré.

Mais, comme en Angleterre, dans les temps modernes, un tel honneur eût été une innovation et une expérience douteuse, Perch était obligé de se contenter de traduire à sa manière, du mieux qu’il pouvait, l’emphase du style oriental, qui aurait dit :

« Vous êtes la lumière de mes yeux. Vous êtes la vie de mon âme. Vous êtes le commandeur du croyant et fidèle Perch. »

Après s’être donné à lui-même cette satisfaction bien imparfaite, il fermait la porte doucement et se retirait sur la pointe du pied, laissant le grand chef seul dans son cabinet, n’ayant plus pour l’admirer, au travers de petites lucarnes, que de vieux tuyaux de cheminées et des derrières de maisons, et surtout une téméraire fenêtre d’un salon de coiffure, à un premier étage, qui ne le perdait pas de vue. Là se trouvait une figure de cire, le matin chauve comme un musulman, et couverte, dans l’après-midi, de cheveux abondants et de favoris magnifiques à la dernière mode du christianisme ; mais elle ne lui montrait jamais que le derrière de sa tête.