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il resta là triste et mélancolique. Ce changement subit était trop remarquable pour échapper même aux yeux de Toots. À ce moment, leur entrevue fut troublée par une visite de Mme Pipchin, qui venait une ou deux fois par semaine, avant la brune, attrister le pauvre Paul de ses sombres vêtements ; Toots ne put trouver le moyen d’en savoir plus long à ce sujet ; mais ce qu’il avait vu avait fait sur son esprit une impression profonde, car, après un échange de politesses d’usage, il revint deux ou trois fois demander à Mme Pipchin comment elle se portait. La susceptible vieille dame fut persuadée que cette façon d’agir n’était rien moins qu’une insulte faite avec préméditation, et une invention diabolique du jeune domestique myope du rez-de-chaussée. Aussi, le soir même, adressa-t-elle une plainte, dans les règles, au docteur Blimber, qui avertit son domestique que, si jamais pareille chose lui arrivait, il se verrait obligé de lui faire quitter la maison.

Comme les soirées étaient devenues longues, Paul montait furtivement chaque soir se placer à sa croisée pour apercevoir Florence. Elle passait toujours à un certain moment, et, tant qu’elle ne l’avait pas vu, elle revenait sur ses pas ; cette reconnaissance mutuelle était un rayon de soleil dans la vie uniforme de Paul. Souvent aussi, à la brune, un autre personnage se promenait seul devant la maison du docteur. Rarement il venait les retrouver maintenant le samedi. Il n’en avait plus le courage. Il préférait venir là sans être reconnu et regarder dans l’ombre les fenêtres de cette demeure où son fils travaillait pour devenir un homme ; il attendait, veillait faisait des projets, formait des espérances !

Ah ! s’il avait pu voir, s’il avait vu comme les autres, ce frêle petit être, par le crépuscule du soir, promener sur les vagues et les nuages ses yeux enflammés ; s’il l’avait vu quand les oiseaux venaient voltiger près de lui, se presser contre la fenêtre de sa cage solitaire, pauvre petit ! pour essayer de faire comme eux, et, comme eux, de prendre son essor !