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idée lumineuse lui traverse l’esprit. Il pose sa plume et court chercher Paul. À la fin il le trouve occupé à regarder à la croisée de sa petite chambre.

« Dites donc ! cria Toots, parlant dès qu’il eut ouvert la porte, de peur d’oublier ce qu’il voulait dire ; à quoi pensez-vous ?

— Oh ! répondit Paul, je pense à bien des choses !

— Bien vrai ? dit Toots qui trouvait cela fort surprenant.

— S’il vous fallait mourir…, » dit Paul en le regardant en face.

M. Toots tressaillit et parut fort troublé de la supposition.

« Ne voudriez-vous pas mourir par un beau clair de lune, quand le ciel est étoilé, avec un bon petit vent comme hier soir ? Dites.

— Ah ! dit M. Toots en regardant Paul de l’air d’un homme qui n’est pas bien décidé et en secouant la tête ; je ne sais pas, moi.

— Un bon petit vent qui ne souffle pas précisément, dit Paul, mais qui murmure comme la mer dans les coquillages. Ah ! quelle belle nuit ! J’ai longtemps écouté le bruit des vagues, et puis je me suis levé pour aller voir la mer. À la clarté de la lune, j’ai aperçu de loin une barque, une barque avec une voile. »

L’enfant le regardait si fixement et parlait avec tant d’animation que M. Toots se croyant obligé de dire aussi quelque chose sur cette barque, lui dit : « Un corsaire, sans doute. » Mais réfléchissant qu’il faut toujours voir les choses sous leurs deux faces, il ajouta : « À moins que ce ne fût un garde-côtes. »

« J’ai vu, répéta Paul, une barque avec une voile, je l’ai vue à la clarté de la lune. La voile était tendue comme un bras d’argent. Elle disparut au loin ; et que pensez-vous qu’elle semblait faire en se balançant sur les vagues ?

— Sombrer, dit M. Toots.

— Elle semblait me faire signe, dit l’enfant, me faire signe de la suivre !… Ah ! tenez ! la voilà !… la voilà !

— Qui donc ? s’écria Toots saisi de terreur après ce qui venait de se passer.

— Ma sœur Florence ! cria Paul ; elle me regarde et agite sa main. Elle me voit ! elle me voit ! Bonsoir, petite sœur ! Bonsoir ! bonsoir ! »

Il resta à la fenêtre, envoyant des baisers et frappant des mains ; et, tant qu’il la vit, sa figure rayonnait de bonheur ; mais, quand il l’eut perdue de vue, ses traits s’assombrirent et