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Mme Pipchin, il ne l’avait pour aucune des personnes de la maison du docteur. Il aimait à être seul. Dans ses courts moments de loisir, il n’avait pas de plus grand plaisir que d’errer seul dans la maison, de s’asseoir sur les marches pour écouter la grande horloge du vestibule. Il avait fait une intime connaissance avec les papiers de toutes les chambres de la maison ; il voyait dans les dessins des choses que personne n’y avait aperçues. C’étaient des lions et des tigres en miniature, bondissant sur les murs des chambres à coucher, ou bien des figures biscornues grimaçant dans les carrés et les rosaces des tapis.

L’enfant rêvait ainsi solitaire, entouré de toutes ces arabesques fantastiques enfantées par son imagination, sans être compris de personne. Miss Blimber le trouvait bizarre, et les domestiques se disaient quelquefois entre eux : « Le petit Dombey s’ennuie, » et tout était dit.

Toots seul avait quelque idée peut-être à ce sujet, mais il était incapable de l’exprimer. Nos idées sont comme les revenants (si toutefois ce que l’on dit des revenants est vrai), il faut leur adresser la parole avant d’en obtenir une réponse ; et Toots, depuis longtemps, avait perdu l’habitude de s’interroger lui-même. De sa tête, véritable caboche de plomb, serait sortie peut-être quelque vapeur confuse qui, en se développant et en prenant une forme précise, aurait pu faire un génie, mais elle n’en sortait pas ; c’était plutôt comme la fumée du conte arabe dont le nuage épais restait suspendu sur sa tête et faisait ombre à son esprit. Cependant, au travers de ce brouillard, dans un horizon lointain, Toots démêlait une petite figure dont ses yeux ne pouvaient se détacher.

« Comment vous portez-vous ? disait-il à Paul cent fois par jour.

— Très-bien, monsieur, je vous remercie, répondait Paul.

— Donnez-moi une poignée de main, » ajoutait Toots qui s’aventurait quelquefois jusque-là.

Paul, tout naturellement, lui tendait aussitôt la main, et M. Toots, après être resté longtemps les yeux fixés sur lui en respirant fortement, lui répétait encore :

« Comment vous portez-vous ? »

À quoi Paul répondait :

« Très-bien, monsieur, je vous remercie. »

Un soir, M. Toots était assis à son pupitre, accablé de fatigue par une longue correspondance, quand tout à coup une