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— Je désire, Suzanne, que vous me les achetiez demain matin, s’il vous plaît. J’ai de quoi les payer, dit Florence.

— Bonté du ciel ! mademoiselle Florence, répondit miss Nipper, comment pouvez-vous parler ainsi, quand vous avez déjà livres sur livres, et des maîtres et des maîtresses pour vous instruire que ça n’en finit plus ? Et pourtant je crois bien, moi, que votre papa ne vous aurait rien fait apprendre, mademoiselle Dombey, et n’y aurait même pas songé, si vous ne le lui aviez pas demandé ; et dans ce cas, bien entendu, il ne pouvait pas vous refuser ; mais accorder quand on demande ou offrir avant qu’on ait demandé, c’est tout différent, mademoiselle. Moi, par exemple, je puis bien ne pas refuser à un jeune homme de me faire la cour quand il m’en demande la permission ; je ne ferais pas difficulté de lui répondre : Volontiers, monsieur ; mais ce n’est pas la même chose que si j’allais lui dire : Seriez-vous assez bon, monsieur, pour me trouver à votre goût ?

— Mais vous pouvez bien m’acheter ces livres, Suzanne ? Je suis sûre que vous le voudrez bien, quand vous saurez pourquoi j’en ai besoin.

— Eh bien ! mademoiselle, pourquoi faire ? répondit Nipper ; et elle ajouta plus bas : Si c’était pour les flanquer à la tête de Mme Pipchin, je vous en achèterais volontiers une charretée.

— Peut-être pourrais-je aider Paul, Suzanne, si j’avais ces livres, dit Florence, et peut-être lui rendrais-je moins pénible la semaine suivante. Je désire au moins l’essayer. Ainsi, je vous en prie, ma bonne Suzanne, achetez-les-moi, et je vous promets que je n’oublierai pas cette complaisance de votre part. »

Il aurait fallu avoir le cœur plus dur que Suzanne Nipper ne l’avait pour repousser la petite bourse que Florence tendait en prononçant ces paroles, ou pour résister au doux regard, si plein de prières, qui accompagnait sa demande. Suzanne mit la bourse dans sa poche sans dire un mot, et se mit en route pour remplir sa commission.

Les livres n’étaient pas faciles à trouver. Dans plusieurs boutiques on lui répondit : « Nous venons de vendre les derniers, ou, nous n’avons jamais tenu cet article, ou bien, nous en avions un grand nombre le mois dernier, ou encore, nous en attendons un grand nombre la semaine prochaine. » Mais Suzanne n’était pas fille à se laisser facilement décourager dans