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sées sérieuses, avait marché vite, et elle croassait de sa voix la plus enrouée, en attendant qu’on ouvrît la porte.

« Maintenant, Paul, dit M. Dombey d’un air triomphant, vous voilà sur le chemin de devenir Dombey et fils et d’avoir de l’argent. Vous êtes déjà presque un homme.

— Presque, » répondit l’enfant.

Son agitation enfantine même ne put maîtriser le malin et singulier regard, bien touchant cependant, dont il accompagna cette réponse.

Le visage de M. Dombey en exprima une sorte de mécontentement ; mais à peine la porte fut-elle ouverte, que cette expression s’évanouit.

« Le docteur Blimber est chez lui, je pense ? » demanda M. Dombey.

Le domestique répondit qu’il y était, et, en les introduisant dans la maison, il regarda Paul comme s’il le prenait pour une petite souris entrant dans une souricière. Il avait la vue basse et sur son visage on croyait à chaque instant voir poindre un sourire. C’était pure imbécillité ; mais Mme Pipchin s’était fourré dans la tête que c’était effronterie ; et, sans plus tarder, elle éclata contre lui.

« Comment osez-vous rire derrière le dos de ce monsieur ? dit Mme Pipchin, et pour qui me prenez-vous ?

— Je ne ris de personne, madame, et je ne vous prends pour rien, bien sûr, répondit le jeune homme tout consterné.

— Tas de fainéants, dit Mme Pipchin, vous n’êtes bons qu’à tourner la broche ! Allez dire à votre maître que M. Dombey est ici, ou il vous en cuira. »

Le jeune homme à la vue basse s’en alla, de l’air le plus soumis, remplir cette commission, et revint bientôt les prier d’entrer dans le cabinet du docteur.

« Vous riez encore, monsieur, dit Mme Pipchin en passant la dernière devant lui dans le vestibule.

— Je ne ris pas, répondit le jeune homme péniblement affecté… Je n’ai jamais vu chose pareille !

— Qu’y a-t-il, madame Pipchin ? dit M. Dombey en se retournant. Doucement ! doucement ! je vous prie ! »

Mme Pipchin, pleine de respect pour M. Dombey, se contenta de grommeler en passant devant le jeune homme et de l’apostropher d’un : « impudent coquin ! » si bien qu’elle le laissa triste jusqu’à en pleurer, car chez lui il n’y avait pas l’ombre de méchanceté ; il était idiot et doux comme un mouton.