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du docteur Blimber ; c’était une espèce de serinette humaine, avec une liste bien courte d’airs perpétuels qu’il n’avait qu’à tourner, tourner, tourner, comme avec une manivelle, pour les répéter sans la moindre variation. Peut-être aurait-on pu, dans les premiers temps de sa vie, le pourvoir de serinettes de rechange, si sa destinée eût été plus heureuse ; mais le sort ne lui avait pas été favorable et il ne possédait qu’un jeu d’orgue à son instrument. Son unique occupation consistait à s’en servir de la façon la plus monotone, de manière à abrutir les jeunes élèves du docteur Blimber. Ils avaient tous, bien avant l’âge, la tête remplie de soucis cuisants. Ils se voyaient poursuivis sans relâche par des verbes inexorables, par les substantifs les plus barbares, par des tirades de syntaxe inflexible, et par mille autres fantômes d’exercices qui venaient les hanter jusque dans leurs songes. Cette précieuse méthode, pour hâter le développement forcé des facultés, avait pour résultat d’éteindre l’intelligence d’un jeune homme au bout de trois semaines ; de lui remplir la tête de tous les soucis de la vie au bout de trois mois ; de faire naître dans son cœur des sentiments pleins d’amertume pour ses parents ou pour ses maîtres au bout de quatre ; d’en faire au bout de cinq un vieux misanthrope ; si bien qu’au bout de six il enviait à Curtius son gouffre bienheureux pour être délivré de tous ses maux, et qu’à la fin de la première année, il en était venu à conclure, sans vouloir plus jamais en démordre, que toutes les créations des poëtes et les leçons de la sagesse n’étaient qu’une collection de mots soumis aux règles de la grammaire, sans autre signification au monde.

Et pourtant, l’élève du docteur Blimber fleurissait, fleurissait toujours et restait tout le temps fleurissant dans la serre chaude, à la grande gloire du maître, dont la réputation allait toujours croissant, quand il renvoyait chez lui son disciple montrer à ses parents et à ses amis sa belle pousse obtenue en plein hiver.

Sur le seuil de la porte du docteur, Paul parut un jour, le cœur tout agité, une de ses petites mains dans celle de son père et l’autre serrée dans celle de Florence. Oh ! combien l’une de ses mains était pressée doucement, et combien l’autre était mal retenue par une froide étreinte !

Mme Pipchin planait derrière sa victime avec son plumage sombre et son bec crochu, comme un oiseau de mauvais augure. Elle était tout essoufflée, car M. Dombey, plein de pen-