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hâter la maturité des intelligences. Les enfants, quels qu’ils fussent, fleurissaient avant le temps. Le jardin intellectuel avait ses petits pois à Noël, ses asperges durant tout le cours de l’année. Les mathématiques avaient de même leurs groseilles à maquereau, parfois, il est vrai, un peu sures ; mais c’était du fruit précoce que l’on y trouvait en abondance en toute saison, et qui, cultivé par le docteur Blimber, croissait même sur des ronces. Tous les genres de légumes grecs et latins, on les voyait sortir des terrains de garçons les plus ingrats, défiant les glaces et les frimas. On s’inquiétait peu de la nature de chacun ; peu importait quels fruits pouvait produire un élève ; d’une manière ou d’une autre, le docteur finissait toujours par en faire un prodige.

Tout ceci était fort agréable et fort ingénieux, mais cette maturité forcée avait ses inconvénients ordinaires. Les primeurs n’avaient ni saveur, ni durée. Ainsi, par exemple, un jeune homme venu au monde avec un gros nez et une tête énorme (l’aîné des dix qui avait vu tout ce que l’on peut voir en fait d’instruction) avait tout à coup cessé de fleurir un beau matin et était resté dans la maison à l’état de simple tige. On disait que le docteur avait poussé trop loin son système avec le jeune Toots et que le pauvre garçon avait commencé à n’avoir plus de cervelle, quand il avait commencé à avoir de la barbe et des favoris.

Quoi qu’il en soit, le jeune homme était dans la maison. Il avait été gratifié par la nature de la voix la plus forte et de l’esprit le plus maigre. Il attachait des épingles d’or à sa chemise pour en relever l’éclat, et portait une bague dans la poche de son gilet pour la glisser furtivement à son petit doigt, quand on menait les élèves à la promenade. Il devenait constamment amoureux, à première vue, de petites bonnes d’enfants qui n’avaient pas même idée de son existence, et chaque soir, quand l’heure du coucher avait sonné, il allait s’embusquer au coin de la croisée du troisième étage pour regarder à la lumière du gaz les passants par-dessus les barreaux, comme un grand Cupidon monté en graine, encore suspendu dans les airs, à l’heure où il devait être depuis longtemps allé se coucher.

Le docteur avait un maintien plein de dignité ; il était vêtu de noir et portait une culotte courte. Son front était chauve et poli, sa voix sonore ; il avait un double menton si prononcé, que c’était merveille de penser comment il pouvait se raser