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ment pouvez-vous faire de semblables questions, monsieur !… Pourquoi aimez-vous autant votre sœur Florence ?

— Parce qu’elle est très-bonne, dit Paul. Il n’y a personne comme Florence.

— Eh bien ! répondit sèchement Mme Pipchin, il n’y a personne comme moi, j’imagine ?

— Bien vrai ? demanda Paul en se renversant dans son petit fauteuil et la regardant dans le blanc des yeux.

— Certainement, dit la vieille dame.

— Tant mieux, dit Paul en se frottant les mains d’un air pensif ; c’est bien heureux. »

Mme Pipchin n’osa pas lui demander pourquoi, dans la crainte de recevoir une réponse qui l’aurait complétement anéantie. Mais, comme compensation à ses sentiments blessés, elle tomba à coups redoublés sur Bitherstone de manière à lui donner une bonne rossée ; si bien que le pauvre enfant fit le soir même tous ses préparatifs pour retourner dans les Indes par voie de terre ; il détourna même de son souper un quart de tartine de pain et un morceau de fromage de Hollande moisi ; c’était le fonds d’un commencement de provisions qu’il projetait pour le voyage.

Il y avait près de douze mois que Mme Pipchin tenait Paul et Florence sous sa surveillance et sa direction. Ils étaient allés deux fois chez eux, mais seulement pour quelques jours, et s’étaient montrés constants dans les visites hebdomadaires qu’ils faisaient à M. Dombey dans son hôtel. Peu à peu, Paul était devenu plus fort et avait pu se passer de sa petite voiture. Cependant il avait encore les apparences maigres et délicates ; c’était toujours le même enfant vieillot, calme, rêveur, qui avait été confié aux soins de Mme Pipchin. Un samedi soir, après le coucher du soleil, l’arrivée inattendue de M. Dombey mit tout le château en émoi. Il venait rendre visite à Mme Pipchin. Aussitôt elle balaye du salon tout le petit monde, qui se trouve en un moment transporté à l’étage supérieur comme par un coup de vent. M. Dombey pouvait d’en bas entendre les portes des dortoirs claquer avec violence, les enfants avec leurs petits pieds courir, et le dos de Bitherstone résonner sous les coups que lui administrait Mme Pipchin pour se remettre de son trouble ; enfin les noirs vêtements d’alépine de la vieille dame vinrent assombrir la chambre où le visiteur annoncé contemplait la chaise vide de son fils et héritier.