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rempli d’attention pour elle et pour les enfants, mais c’est une vraie mégère, souvent !

— Je m’en irais, moi, capitaine Cuttle, dit Walter.

— Je n’ose pas, Walter, répondit le capitaine ; elle irait me chercher partout où je me sauverais. Mais asseyez-vous. Comment va Gills ? »

Le capitaine était en train de dîner, le chapeau sur la tête. Il avait devant lui un pot de bière et mangeait un morceau de mouton froid et des pommes de terre toutes fumantes qu’il avait fait cuire lui-même et qu’il tirait d’une petite poêle placée devant le feu, à mesure qu’il en désirait. Au moment du dîner, il dévissait son croc et vissait à la place dans son avant-bras un couteau à l’aide duquel il avait déjà commencé à éplucher une pomme de terre pour l’offrir à Walter. Les pièces de son logement étaient petites et imprégnées d’une forte odeur de tabac, mais elles étaient assez commodes et tout y était solidement accroché comme si l’on avait à y craindre régulièrement un tremblement de terre toutes les demi-heures.

« Comment va Gills ? » demanda le capitaine.

Walter, qui pendant ce temps avait repris haleine et perdu courage, ou du moins le courage momentané que lui avait donné sa course rapide, regarda un moment celui qui le questionnait et s’écria bientôt en sanglotant :

« Ô capitaine, ô capitaine Cuttle. »

Rien ne pourrait peindre la consternation du capitaine à cette vue. Le souvenir de Mme Mac-Stinger s’était évanoui : il laissa tomber la pomme de terre et la fourchette : il aurait laissé tomber de même le couteau, s’il n’avait pas été vissé ; puis, restant la bouche béante en face du jeune homme, il crut que Walter allait lui apprendre qu’un gouffre s’était ouvert dans la Cité, et avait englouti son vieil ami avec ses vêtements couleur café, ses boutons d’acier, son énorme chronomètre, ses lunettes et tout le reste. Mais quand Walter lui eut expliqué ce dont il s’agissait, le capitaine Cuttle, après un moment de réflexion, se leva tout à coup d’un air affairé. Il tira d’une petite boite de fer-blanc, placée sur le haut de son buffet, tout son petit magot d’argent comptant. La somme se montait à trois cent vingt-trois francs cinquante centimes. Il glissa toutes les pièces dans une des poches de son habit bleu ; il ajouta à ce trésor le contenu de son coffre à argenterie, se composant de deux méchantes petites cuillers et d’une vieille pince à sucre toute bancale ; tira des profondeurs de son gous-