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était curieux de voir les changements graduels, et comme la fusion des établissements terrestres et des habitudes aquatiques.

D’abord, c’étaient des mâts servant d’enseignes à des cabarets ; puis venaient des boutiques de hardes pour les matelots, qui y trouvaient des chemises de Guernesey, des chapeaux du sud-ouest, des pantalons de toile à voile de la trame la plus serrée et de la coupe la plus ample, tout cela pendu au dehors. Un peu plus loin, c’étaient des forges où l’on préparait des ancres et des câbles de métal, et où du soir au matin le marteau tombait et retombait sur le fer. On voyait ensuite une rangée de maisons surmontées de girouettes fixées à des mâts s’élançant du milieu des haricots rouges qui croissaient à leur pied. Puis des fossés, des saules à la tête ronde toute dépouillée de leurs branches ; puis encore des fossés, des espaces pleins d’eau sale qu’on pouvait à peine apercevoir tant ils étaient encombrés de navires ; puis on sentait un goût de copeaux, et tous les autres genres de commerce faisaient place à de vastes ateliers où l’on travaillait des mâts, des rames, des poutres et des bateaux. Le sol devenait ensuite marécageux et mouvant, et l’odeur du rhum et du sucre se répandait de tous côtés. Enfin l’on arrivait à la maison du capitaine Cuttle, maison située sur Brig-place et qui n’avait tout ensemble qu’un premier et dernier étage.

Le capitaine était un de ces hommes tout d’une pièce, sculptés en cœur de chêne, et que l’imagination la plus vive ne saurait se figurer séparés du moindre détail de leur accoutrement, si insignifiant qu’il puisse paraître. Aussi, quand Walter frappa à la porte, et que le capitaine mettant aussitôt le nez à une des petites fenêtres du devant de la maison, lui fit un salut amical, en lui voyant sur la tête un lourd chapeau de toile cirée et reconnaissant son grand col de chemise semblable à une voile et ses mêmes habits bleus, tout cela à sa place ordinaire, Walter fut de plus en plus persuadé qu’il n’en était jamais autrement et que le capitaine était un oiseau dont c’étaient là les plumes.

« Walter, mon garçon, dit le capitaine Cuttle, approchez et frappez encore ! ferme ! ferme ! c’est aujourd’hui jour de savonnage. »

Walter, dans son impatience, laissa retomber si violemment le marteau sur la porte, qu’elle en fut ébranlée.

« C’est soigné, cela ! à la bonne heure, » dit le capitaine en re-