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— Walter, mon enfant, répondit son oncle, c’est la première fois qu’un tel malheur m’arrive ; je suis bien vieux pour commencer ! et le vieillard releva ses lunettes sur son front (car elles ne pouvaient pas dissimuler plus longtemps son émotion), et cachant sa figure dans ses mains, il se mit à sangloter et ses larmes coulèrent sur son gilet couleur café.

— Oh ! mon oncle Sol, je vous en supplie ; ne pleurez pas ! s’écria Walter qui se sentait saisi d’effroi à la vue des larmes du vieillard. Pour l’amour de Dieu, ne pleurez pas !… Monsieur Brogley, que faut-il que je fasse ?

— Je vous engage, dit M. Brogley, à aller trouver un ami, ou une connaissance et à lui expliquer ce dont il s’agit.

— Oui, oui, vous avez raison, s’écria Walter, se rattachant à tout ; merci, je vais aller trouver quelqu’un. Le capitaine Cuttle nous tirera de là, mon oncle. Attendez que je coure chez le capitaine Cuttle. Monsieur Brogley, veillez sur mon oncle, je vous en prie, et tâchez de le consoler autant que possible pendant mon absence. Tout n’est pas perdu, cher oncle, courage ! courage ! nous avons là un bon ami ! »

Et dans son enthousiasme, Walter s’élança hors de la boutique, courant plutôt que marchant et sans prendre garde aux remontrances entrecoupées du vieillard. Il se hâta d’abord d’aller prévenir au bureau qu’une maladie subite de son oncle le forçait à rester près de lui, puis il se dirigea de toute la vitesse de ses jambes vers la demeure du capitaine.

Tout lui semblait changé dans sa route ; les rues n’avaient plus le même aspect. C’était bien le même embarras, le même bruit de voitures, de camions, d’omnibus, de chariots ; c’était bien le même va-et-vient des piétons ; mais le malheur qui venait d’atteindre le petit aspirant de marine présentait à ses yeux tout ce mouvement sous des couleurs étranges et nouvelles. Les maisons, les boutiques n’étaient plus les mêmes ; Walter y lisait en gros caractères l’assignation de M. Brogley. L’huissier semblait avoir porté la main jusque sur les églises, car leurs clochers, en s’élevant vers le ciel, avaient une roideur d’huissier priseur ; le ciel lui-même avait changé et avait pris visiblement un air de saisie mobilière.

Le capitaine Cuttle habitait sur le bord d’un petit canal tout près des docks de la compagnie des Indes. Un petit pont tournant s’ouvrait de temps en temps pour laisser quelque gros monstre de bâtiment remonter lentement la rue comme une baleine échouée. En approchant de la demeure du capitaine, il