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fants des lectures enfantines qui, par parenthèse, ne l’étaient guère ; car c’était le système de Mme Pipchin de ne pas laisser l’intelligence des enfants se former et se développer comme une tendre fleur, mais de l’ouvrir de force comme une huître. La morale de ces leçons avait en général un caractère violent et saisissant. Il était rare que le héros du conte, méchant petit garçon, finit autrement que sous les dents d’un lion ou dans les griffes d’un ours.

Telle était la vie que l’on menait chez Mme Pipchin. Le samedi, M. Dombey arrivait ; Paul et Florence allaient le voir à son hôtel et y prenaient le thé. Ils passaient la journée du dimanche tout entière avec lui, et on faisait habituellement une promenade en voiture avant le dîner. Dans ces occasions, M. Dombey semblait se multiplier, comme les assaillants de Falstaff ; au lieu de l’homme au bougran, il s’en trouvait une douzaine. La soirée du dimanche était la plus triste de toute la semaine, car Mme Pipchin s’était fait une règle d’être toujours de très-mauvaise humeur le dimanche soir. On ramenait habituellement miss Pankey de chez une tante qui habitait Rottendean, et la pauvre enfant revenait toujours dans le plus profond désespoir. Quant à Bitherstone, dont tous les parents étaient dans l’Inde, il était condamné, entre les offices, à rester tout droit le dos contre le mur du petit salon, sans remuer bras ni jambes, et sa jeune âme en souffrait si cruellement, qu’il demanda à Florence, un dimanche soir, si elle ne pourrait pas lui indiquer le chemin pour retourner au Bengale.

Cependant on disait partout que Mme Pipchin était une maîtresse femme pour gouverner les enfants ; et de fait les plus sauvages rentraient chez eux bien apprivoisés près quelques mois de séjour sous son toit hospitalier. On disait partout aussi que c’était beau de la part de Mme Pipchin de s’être adonnée à ce genre de vie, d’avoir fait ainsi le sacrifice de ses goûts, d’avoir fait tête à ses malheurs avec tant de fermeté, quand M. Pipchin était mort le cœur brisé dans les mines du Pérou.

Paul, assis dans son petit fauteuil auprès du feu, ne pouvait se lasser d’examiner cette vieille dame modèle, pendant des heures entières. Il avait oublié ce que c’est que l’ennui, quand il regardait fixement Mme Pipchin ; il ne l’aimait, ni ne la craignait ; mais, avec ses habitudes de petit vieux, elle avait pour lui un attrait grotesque. Il restait là, tantôt la regardant, tantôt chauffant ses mains, puis la regardant encore, si bien