rante ans que les mines du Pérou avaient causé la mort de M. Pipchin ; mais sa veuve inconsolable portait encore une robe d’alépine noire terne, épaisse, sans ornements, si sombre enfin, que le soir, le gaz laissait Mme Pipchin dans l’obscurité, et que sa seule présence pouvait servir d’éteignoir à un nombre indéterminé de lumières. Elle était généralement réputée comme une femme d’un grand talent pour diriger les enfants, et le secret de ce talent consistait simplement à faire tout ce qui leur déplaisait, sans jamais rien faire de ce qui leur était agréable : c’était, selon elle, un moyen infaillible de leur former le caractère. Elle était si sèche, qu’on était vraiment disposé à croire qu’il y avait eu erreur dans l’emploi des machines hydrauliques du Pérou, et qu’au lieu des mines, c’était elle qu’on avait mise à sec en lui tirant tout ce qu’elle pouvait avoir d’amabilité, de douceur et de bonté.
Le château de cette ogresse, véritable bourreau des enfants, se trouvait à Brighton, dans une rue écartée et montante, dont le terrain était crayeux, pierreux et stérile ; les maisons plus minces et plus fragiles que partout ailleurs. Les petits jardins, qu’on voyait devant les façades, avaient la singulière propriété de ne produire que des soucis, quelles que fussent les graines qu’on y eût semées, et, sur toutes les portes, sans parler de bien d’autres endroits, où ils ne servaient guère d’ornements, des colimaçons restaient attachés avec la ténacité d’une ventouse. Pendant l’hiver, le vent s’engouffre dans le château, sans qu’on pût l’en chasser, et, pendant l’été on ne pouvait l’y garder. Mais il y faisait toujours un bruit, que les habitants croyaient tenir à leurs oreilles, bon gré mal gré, un grand coquillage de mer, qui bourdonnait la nuit comme le jour. L’air qu’on respirait dans la maison n’était pas des plus agréables ; dans l’embrasure de la fenêtre du petit salon, fenêtre qui ne s’ouvrait jamais, Mme Pipchin conservait en pots une collection de boutures, qui faisaient participer tout l’établissement à leur odeur terreuse.
Quoique ce fussent des individus de choix dans leur espèce, elles cadraient toutes parfaitement avec la forme gondolée de Mme Pipchin. Il y avait une demi-douzaine de variétés de cactus, s’enroulant autour de morceaux de latte, pour tuteurs, et semblables à des serpents à tous crins ; un autre allongeait ses grandes griffes comme un homard vert ; des plantes rampantes se faisaient remarquer par leurs feuilles visqueuses et adhérentes ; au plafond était pendu un vieux