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demander un conseil ou une réplique, et répéta après un moment de silence :

« Il peut tout, papa ?

— Oui, tout… ou presque tout, dit M. Dombey.

Tout, veut dire chaque chose, n’est-il pas vrai, papa ? demanda l’enfant sans remarquer ou sans comprendre la restriction de son père.

— Certainement, dit M. Dombey ; ce seul mot comprend toutes choses.

— Pourquoi donc l’argent n’a-t-il pas sauvé maman ? reprit l’enfant ; il est donc bien cruel, dites ?

— Cruel ! dit M. Dombey arrangeant sa cravate, et voulant repousser cette pensée. Non, non. Une bonne chose ne peut être cruelle.

— Si c’est une bonne chose, qui peut tout faire, dit le petit garçon tout pensif, en reportant ses yeux vers le feu, c’est bien étonnant qu’il n’ait pas sauvé maman ! »

Cette fois, il n’interrogeait plus son père. Peut-être, avec l’intelligence naturelle aux enfants, s’était-il aperçu que cette question l’embarrassait ; mais il avait répété tout haut sa pensée, comme si elle lui eût été depuis longtemps familière et qu’elle l’eût souvent troublé. Puis il appuya son menton sur sa main et se mit à réfléchir en demandant au feu une réponse.

M. Dombey revint peu à peu de sa surprise, pour ne pas dire de sa terreur ; car c’était la première fois que l’enfant lui parlait de sa mère, et pourtant ils avaient déjà passé ainsi ensemble bien des soirées. Il expliqua alors à l’enfant comment l’argent, malgré toute sa puissance vivifiante (qu’il faut bien se garder de mépriser), ne peut cependant conserver la vie aux personnes qui doivent mourir. « Car, malheureusement, lui dit-il, nous devons tous mourir, même dans la Cité, où l’on est plus riche que partout ailleurs. Mais l’argent nous procure les grands honneurs. Il nous fait craindre, respecter, courtiser, admirer, et nous rend puissants et illustres aux yeux du monde entier. Souvent même, il peut nous sauver l’existence pendant de longues années. C’est grâce à ma fortune que votre maman a été souvent soignée par M. Pilkins, qui, bien souvent aussi, a pris soin de vous. C’est grâce à ma fortune que j’ai pu appeler auprès de votre maman le célèbre docteur Parker, que vous n’avez jamais connu. Enfin, Paul, l’argent peut faire tout ce qu’il est possible de faire. Et M. Dom-