Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

héritage et par imitation involontaire. Quelle ressemblance et pourtant quel prodigieux contraste !

Un soir qu’ils étaient restés tous deux silencieux pendant assez longtemps, et que M. Dombey s’était assuré plusieurs fois que l’enfant ne dormait pas, en voyant la flamme briller comme une topaze dans ses yeux, le petit Paul rompit tout à coup le silence et dit :

« Papa, qu’est-ce que l’argent ? »

Cette question, faite à l’improviste, avait tant de rapport avec les pensées de M. Dombey qu’il resta interdit.

« Ce que c’est que l’argent, Paul, répondit-il, l’argent ?.

— Oui, dit l’enfant posant ses mains sur les deux bras de son petit fauteuil et levant sa petite figure vieillotte vers M. Dombey, qu’est-ce que l’argent ? »

M. Dombey était embarrassé. Il aurait voulu lui donner une définition comprenant les termes agent monétaire, monnaie, billets, lingots, taux de l’escompte, prix des valeurs métalliques sur la place et le reste ; mais, après avoir jeté un coup d’œil sur le petit fauteuil, et voyant combien il était bas, il répondit simplement : C’est de l’or, de l’argent, du cuivre ; des guinées, des schellings, des sous. Vous connaissez tout cela ?

— Oui, répondit Paul. Ce n’est pas cela que je veux dire, papa. Je veux savoir ce que c’est que l’argent, après tout ? »

Dieu ! comme sa figure était vieille, quand il la tourna encore vers son père !

« Ce que c’est que l’argent, après tout ? dit M. Dombey tout surpris, en reculant un peu son siège pour mieux voir cet orgueilleux atome qui osait faire une telle question.

— Je veux savoir, papa, ce qu’il peut faire ? » reprit Paul en croisant ses bras, à peine assez longs pour se croiser, et portant ses regards du feu à son père, de son père au feu, pour les arrêter enfin sur M. Dombey.

Celui-ci rapprocha son fauteuil de l’enfant, et lui dit, en lui donnant une petite tape sur la joue : « Vous l’apprendrez en grandissant, mon petit homme. L’argent peut tout, Paul ; » et il prit une des mains de l’enfant qu’il frappa légèrement dans la sienne.

Mais Paul la dégagea le plus vite possible ; et, la passant et repassant doucement sur le bras de son fauteuil, on eût dit que son intelligence était dans la paume de sa main, et qu’il voulait ainsi l’aiguiser ; il regarda encore le feu comme pour lui