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depuis si longtemps attendu ! Il secouait, il secouait la lourde chaîne d’or, suspendue à son gilet sous son bel habit bleu, dont les boutons brillants reflétaient, à distance, la faible clarté du foyer. Dombey fils, ses poings serrés comme une pelote, semblait, à sa petite manière, se carrer glorieusement dans la vie, où il venait d’entrer d’une façon si inattendue.

« Allons, madame Dombey, la maison sera encore une fois, non-seulement de nom, mais de fait, maison Dombey et fils ; Dom… bey et fils ! »

Ces paroles de M. Dombey produisirent sur lui-même un effet si agréable, qu’il fit suivre d’un mot de tendresse le nom de Mme Dombey. Il hésita bien quelque peu à la vérité, n’étant guère accoutumé à cette formule.

« Madame Dombey ! Ma… ma chère, dit-il. »

Une rougeur passagère, causée par la surprise, colora légèrement les joues de la malade qui leva les yeux vers son mari.

« On le baptisera du nom de Paul, ma… ma… madame Dombey, cela va sans dire. »

Elle répéta faiblement ces derniers mots ou plutôt sembla les répéter par un mouvement des lèvres, et referma les yeux.

« C’est le nom de son père, madame Dombey, et de son grand-père aussi ! Ah ! si son grand-père vivait encore ! » Et il redit du même ton que la première fois : Dom… bey et fils.

L’unique pensée de la vie de M. Dombey était tout entière dans ces mots. La terre était faite pour le commerce de la maison Dombey et fils ; le soleil et la lune pour l’éclairer. C’était pour porter ses vaisseaux que les rivières et les mers avaient été créées ; les arcs-en-ciel, pour elle seule, promettaient le beau temps ; les vents ne soufflaient que pour favoriser ou pour contrarier ses entreprises ; enfin, les étoiles et les planètes tournaient dans leurs orbites pour conserver l’équilibre au système, dont elle était le centre. Les abréviations les plus ordinaires prenaient aux yeux de M. Dombey de nouvelles significations et n’avaient de rapport qu’à sa maison de commerce. A. D. ne signifiait nullement anno Domini, mais bien anno Dombei et fils.

Dans la carrière qu’il avait à fournir entre la naissance et la mort, il s’était élevé, comme son père l’avait fait avant lui, de la position de Dombey fils à celle de Dombey père ; et, depuis une vingtaine d’années, il était le seul représentant de la maison de commerce. Sur ces vingt années, il avait été marié dix ans à une femme qui, suivant quelques-uns, avait pu lui