Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le major, après avoir mûrement réfléchi, décida dans son esprit qu’il devait y avoir là-dessous quelque piège. Miss Tox certainement tramait, complotait, préparait quelque traquenard.

« Mais on n’attrapera pas José, madame, il est solide, madame, il est solide ; Jo. Bagstock est diablement fin ! » Cette réflexion le tint en bonne humeur tout le reste du jour.

La journée se passa cependant, et bien d’autres encore, sans que miss Tox s’inquiétât du major, ou y pensât le moins du monde. Elle avait eu l’habitude, au temps jadis, de regarder par une de ses petites croisées sombres, comme par hasard, et de répondre en rougissant au salut du major ; mais depuis, elle ne lui accordait plus aucune de ces heureuses occasions et ne semblait pas même s’apercevoir s’il regardait ou non de l’autre côté de la rue. Il est vrai qu’il s’était passé depuis ce temps-là bien des choses. Protégé par l’obscurité de son appartement, le major put remarquer que la demeure de miss Tox avait pris une apparence plus élégante.

Le vieux petit serin habitait maintenant une cage neuve aux barreaux dorés ; divers ornements de carton ou de papiers coloriés ornaient les tables et la cheminée ; un vase de fleurs, quelquefois deux, avaient apparu derrière la croisée. Enfin, miss Tox faisait entendre de temps en temps des études sur cette harpe, dont la guirlande de pois de senteurs était mise en vue avec plus de faste que jamais, et qui se trouvait couronnée d’un livre de musique, les valses de Copenhague, la polka des Oiseaux, copiées de la main même de miss Tox.

Ce qu’il y avait de plus remarquable encore, c’est que miss Tox, depuis quelque temps, portait un demi-deuil des plus coquets. Cette dernière circonstance finit par aider le major à résoudre le problème : miss Tox bien certainement avait fait un petit héritage qui l’avait rendue fière.

Le lendemain du jour où le major Bagstock avait calmé l’agitation de son esprit par cette solution, il était en train de déjeuner, quand il vit dans le petit salon de miss Tox, une apparition étrange, incroyable : la stupéfaction le cloua sur sa chaise pendant quelques instants ; mais tout à coup il se lève, s’élance d’un bond dans la chambre voisine et revient, muni d’une jumelle qu’il braque quelques minutes sur l’apparition.

« C’est un enfant ! monsieur, dit le major, après quelques minutes d’attention et fermant sa lorgnette. Je parie un million. »