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« Oui, mais quelle agréable situation ! » Le major enluminé, avec ses yeux qui lui sortaient de la tête, pensait comme miss Tox ; il se faisait gloire d’habiter la place de la Princesse, et c’était un véritable bonheur pour lui, quand il le pouvait, de faire tomber la conversation, au club, sur un point qui eût quelque rapport avec les grands personnages de la grande rue du coin, tout simplement pour se donner la satisfaction de les appeler ses voisins.

La triste demeure qu’habitait miss Tox lui appartenait. Elle lui avait été laissée en héritage par le propriétaire du fameux œil de poisson monté en bijou, et dont le portrait avec une perruque poudrée et une petite queue, faisait le pendant de la poignée destinée à prendre sur le feu la cafetière, que l’on accrochait de l’autre côté de la cheminée de la salle à manger. La majeure partie de l’ameublement remontait au temps des perruques poudrées et des queues, sans excepter ni le réchaud, qui traînait partout languissamment sur ses quatre jambes assez grêles, et se trouvait toujours sur le passage, ni la vieille harpe, enjolivée d’une guirlande coloriée de pois de senteur, qui entourait le nom du fabricant.

Le major Bagstock avait atteint cet âge que la littérature honnête appelle poliment le midi de la vie ; c’est-à-dire qu’il commençait à descendre l’autre côté de la glissoire. Il se voûtait, ses joues se creusaient, ses longues oreilles d’éléphant pendaient démesurément et ses yeux et sa physionomie étaient toujours dans cet état d’excitation nerveuse dont nous avons parlé. Avec des dehors si avantageux, le major se flattait d’attirer l’attention de miss Tox, et la supposition gratuite que c’était une belle femme et qu’elle l’honorait d’une œillade, chatouillait doucement son orgueil. Il l’avait donné à entendre plusieurs fois au club, au milieu de toutes les charmantes plaisanteries qu’il faisait sans cesse sur son propre nom. Tantôt il s’appelait le vieux Jo. Bagstock, ou le vieux José Bagstock ; tantôt le vieux J. Bagstock ou encore le vieux Joseph Bagstock ; car le fort du major, ou, pour mieux dire, son éternel dada, c’était de se permettre une foule de familiarités cavalières avec le nom qu’il portait.

« José Bagstock, monsieur, disait le major en faisant tournoyer sa canne, en avalerait douze comme vous. Si vous aviez un peu plus de sang de Bagstock dans les veines, monsieur, cela n’en vaudrait que mieux. Le vieux Jo., monsieur, n’aurait pas loin à aller pour trouver une femme, même en ce moment s’il voulait se marier ; mais il a le cœur solide, ce Jo. Oui,