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de philosophie et de morale dans le roman, pourvu que la morale et la philosophie n’étouffent pas le roman lui-même. Mieux vaut cent fois un sermon qui amuse qu’un roman qui ennuie ; c’est la poétique de ceux qui trouvent que Molière est un grand philosophe et un grand moraliste dans ses comédies. Sous ce rapport, Charles Dickens a su garder jusqu’ici une juste mesure, même dans ses Contes de Noël et du Jour de l’An, qui sont, à son point de vue, des contes moraux et philosophiques.

La traduction de ces contes a obtenu d’abord le suffrage de Charles Dickens lui-même et celui de quelques juges dont l’approbation n’a pas moins encouragé le traducteur : j’avais prétendu calquer l’esprit et la manière du conteur anglais. C’était peut-être une œuvre plus difficile qu’on ne pense, et que peuvent seuls apprécier ceux-là qui ont lu l’original. Charles Dickens s’est fait un style à lui, qui n’est ni celui de Sterne, ni celui de Walter Scott, style qui réunit bizarrement des locutions elliptiques à une prolixité capricieuse. Reproduire sa pensée sans la forme serait s’exposer à une infidélité. Être à la fois l’esclave des exigences de la correction française et des fantasques libertés de l’anglais, tel était le problème. Si je l’avais résolu, cela prouverait que notre langue a assez de ressources en elle-même pour n’avoir pas toujours besoin des aumônes que daignent lui faire de temps en temps ces poètes et ces prosateurs dont les fières négligences ne peuvent être sûrement imitées par qui n’a pas conquis, comme eux, les immunités du génie.

J’ai suivi un autre système pour traduire David Copperfield. Non-seulement j’ai sacrifié davantage les anglicismes au désir de satisfaire le goût français, mais encore j’ai modifié un ou deux caractères et abrégé quelques scènes.

J’avais même supprimé deux personnages dans la première édition (celle de la Revue Britannique, dont l’édition belge n’est que la reproduction, je les ai rétablis dans celle-ci sans avoir, je l’espère, compromis le succès en France.

Amédée Pichot.