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de nos sophistes socialistes ou chartistes payer les dettes de ses adeptes, si même il paie les siennes, ni, comme les premiers chrétiens, commencer par mettre sa fortune dans le lot commun, si par hasard il a une fortune. Charles Dickens est un esprit plein de droiture et de franchise ; il est philanthrope sans la moindre hypocrisie religieuse, sans la moindre tartuferie utopique[1]. Il ne veut pas sacrifier la société tout entière à une idée nouvelle ; mais sans être ni un sectaire, ni un conspirateur, ni même un homme de parti, il ne serait pas fâché de réformer philosophiquement et politiquement l’Angleterre aussi bien que le reste du monde. Il y a donc d’excellentes leçons dans ses romans et dans ses contes, comme dans le journal hebdomadaire (The Household Words) qu’il vient de fonder tout récemment et qu’il dirige avec ce mélange de satire sérieuse et de sentiment qui relève son caractère de conteur. Nous devons estimer cette noble ambition du philosophe et du citoyen ; mais nous regretterions que le romancier ne maintint pas ses fictions dans le cadre du genre. Il est permis de glisser beaucoup

  1. Le mauvais sentiment que Charles Dickens flétrit le plus impitoyablement dans ses romans, c’est l’égoïsme sous toutes ses formes, depuis l’égoïsme hypocrite et patelin (Peckniff), l’égoïsme sec et dur (Scrooge et M. Dombey), jusqu’à l’égoïsme insouciant qui s’ignore presque lui-même (Martin Chuzzlewit), etc. L’égoïsme est pour le romancier le vice anti-social par excellence. Aussi le filou, le voleur, l’assassin deviennent en quelque sorte intéressants dans ses tableaux, quand ils ne sont pas encore entièrement sevrés de cette sympathie humaine que Shakspeare appelle The milk of human kindness. Charles Dickens n’a jamais entendu rendre le crime intéressant, mais il a reconnu la vérité du principe posé par Adam Smith au début de sa Théorie des sentiments moraux, que « la sympathie, comme toutes les passions primordiales de la nature humaine, n’est pas un sentiment dont soient exclusivement susceptibles les cœurs vertueux et humains, quoiqu’ils l’éprouvent peut-être avec la sensibilité la plus exquise ; mais le plus grand coquin, le plus endurci violateur des lois de la société, n’en est pas tout-à-fait dépourvu. »