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lemagne, il faut se rappeler que cette popularité ne fut accordée à Walter Scott qu’après son quatrième roman : Waverley, Guy Mannering, l’Antiquaire et Rob Roy même, traduits en français, attendirent quatre ans chez leurs éditeurs que les Puritains d’Écosse vinssent faire leur réputation.

Il faut tout dire cependant : quelques progrès que la démocratie ait faits dans nos mœurs politiques et même dans nos habitudes littéraires, le goût français est encore aristocrate ; il existe dans le roman créé par le tory Walter Scott une sorte de distinction chevaleresque qui devait attirer naturellement à elle les imaginations françaises, nourries, dans les lycées de l’Empire comme dans les collèges de la Restauration, des traditions du grand siècle. Notre théâtre, qui complétait alors l’éducation classique, notre théâtre, où régnait Talma, inspirait au peuple lui-même le respect des personnages historiques. La tragédie bourgeoise était appelée un genre bâtard ; notre comédie elle-même aime les ducs et les marquis, les duchesses et les marquises. Aujourd’hui encore, malgré 1830, peut-être pour notre public, les héros des romans de Charles Dickens auraient-ils besoin de quelques quartiers de noblesse ; sans doute, ceux-là même qui sont du plus bas étage peuvent en appeler aux artistes et aux penseurs ; ils ont le droit de dire en faisant allusion au fameux aphorisme de Terence : « Nous sommes hommes après tout ; » oui, mais pour la France leur costume est trop exclusivement anglais, leur langage trop anglais aussi, soit qu’ils personnifient une classe, soit qu’ils traduisent un de ces caractères exceptionnels qui constituent l’excentricité britannique.

Au reste, les Anglais eux-mêmes placent bien haut, comme peintres nationaux, tels de nos propres romanciers que notre critique plus dédaigneuse juge tout juste dignes d’être lus par ces boutiquiers et ces grisettes dont ils racontent les peines et les plaisirs pour faire le tableau de la vie parisienne.