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Il me montrait Uriah, pâle et tremblant dans un côté. Évidemment le drôle avait fait une école : s’était attendu à toute autre chose.

« Regardez mon bourreau, reprit M. Wickfield. Voilà l’homme qui m’a fait perdre, petit à petit, mon nom, ma réputation, ma paix, le bonheur de mon foyer domestique.

— Dites plutôt que c’est moi qui vous ai conservé votre nom, votre réputation, votre paix et le bonheur de votre foyer, dit Uriah en cherchant d’un air maussade, boudeur et déconfit, à raccommoder les choses. Ne vous fâchez pas, monsieur Wickfield ; si j’ai été un peu plus loin que vous ne vous y attendiez, je peux bien reculer un peu, je pense ! Après tout, où est donc le vrai ?

— Je savais que chacun avait son but dans la vie, dit M. Wickfleld, et je croyais me l’être attaché par des motifs d’intérêt. Mais, voyez !… oh ! voyez ce que c’est que cet homme-là !

—Vous ferez bien de le faire taire, Copperfield si vous pouvez, s’écria Uriah en tournant vers moi ses mains osseuses. Il va dire, faites-y bien attention, il va dire des choses qu’il sera fâché d’avoir dites après, et que vous serez fâché vous-même d’avoir entendues !

— Je dirai tout ! s’écria M. Wickfleld d’un air désespéré. Puisque je suis à votre merci, pourquoi ne me mettrais-je pas à la merci du monde entier ?

— Prenez garde, vous dis-je, reprit Uriah en continuant de s’adresser à moi ; si vous ne le faites pas taire, c’est que vous n’êtes pas son ami. Vous demandez pourquoi vous ne vous mettriez pas à la merci du monde entier, monsieur Wickfleld ? parce que vous avez une fille. Vous et moi nous savons ce que nous savons, n’est-ce pas ? Ne réveillons pas le chat qui dort ! Ce n’est pas moi qui en aurais l’imprudence ; vous voyez bien que je suis aussi humble que faire se peut. Je vous dis que, si j’ai été trop loin, j’en suis fâché. Que voulez-vous de plus, monsieur ?

— Oh ! Trotwood, Trotwood ! s’écria M. Wickfleld en se tordant les mains. Je suis tombé bien bas depuis que je vous ai vu pour la première fois dans cette maison ! J’étais déjà sur cette fatale pente, mais, hélas ! que de chemin, quel triste chemin j’ai parcouru depuis ! C’est ma faiblesse qui m’a perdu. Ah ! si j’avais eu la force de moins me rappeler ou de moins oublier ! Le souvenir douloureux de la perte que j’avais faite