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fixa les yeux sur le portrait de sa fille, porta la main à son front, puis retomba dans son fauteuil.

« Je ne suis qu’un bien humble personnage pour vous proposer sa santé, reprit Uriah ; mais je l’admire, ou plutôt le l’adore ! »

Quelle angoisse que celle de ce père qui pressait convulsivement sa tête grise dans ses deux mains pour y comprimer une souffrance intérieure plus cruelle à voir mille fois que toutes les douleurs physiques qu’il pût jamais endurer !

« Agnès, dit Uriah sans faire attention à l’état de M. Wickfield ou sans vouloir paraître le comprendre, Agnès Wickfield est je puis le dire, la plus divine des femmes. Tenez, on peut parler librement, entre amis, eh bien ! on peut être fier d’être son père, mais être son mari… »

Dieu m’épargne d’entendre jamais un cri comme celui que poussa M. Wickfield en se relevant tout à coup.

« Qu’est-ce qu’il a donc ? dit Uriah qui devint pâle comme la mort. Ah çà ! ce n’est pas un accès de folie, j’espère, monsieur Wickfleld ? J’ai tout autant de droit qu’un autre à dire, ce me semble, qu’un jour votre Agnès sera mon Agnès ! J’y ai même plus de droit que personne. »

Je jetai mes bras autour de M. Wickfield, je le conjurai, au nom de tout ce que je pus imaginer, de se calmer, mais surtout au nom de son affection pour Agnès. Il était hors de lui, il s’arrachait les cheveux, il se frappait le front, il essayait de me repousser loin de lui, sans répondre un seul mot, sans voir qui que ce fût, sans savoir, hélas ! dans son désespoir aveugle, ce qu’il voulait, le visage fixe et bouleversé. Quel spectacle efrayant !

Je le conjurai, dans ma douleur, de ne pas s’abandonner à cette angoisse et de vouloir bien m’écouter. Je le suppliai de songer à Agnès ; à Agnès et à moi ; de se rappeler comment Agnès et moi nous avions grandi ensemble, elle que j’aimais et que je respectais, elle qui était son orgueil et sa joie. Je m’efforçai de remettre sa fille devant ses yeux ; je lui reprochai même de ne pas avoir assez de fermeté pour lui épargner la connaissance d’une pareille scène. Je ne sais si mes paroles eurent quelque effet, ou si la violence de sa passion finit par s’user d’elle-même ; mais peu à peu il se calma, il commença à me regarder, d’abord avec égarement, puis avec une lueur de raison. Enfin il me dit : « Je le sais, Trotwood ! ma fille chérie et vous… je le sais ! Mais lui, regardez-le ! »