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coutume. À dîner, il parla beaucoup ; il demanda à sa mère (qu’il avait relevée de faction à notre retour de la promenade) s’il n’était pas bien temps qu’il se mariât ; et une fois il jeta sur Agnès un tel regard que j’aurais donné tout au monde pour qu’il me fût permis de l’assommer.

Lorsque nous restâmes seuls après le dîner, M. Wickfleld, lui et moi, Uriah se lança plus encore. Il n’avait bu que très peu de vin : ce n’était donc pas là ce qui pouvait l’exciter ; il fallait que ce fût l’ivresse de son triomphe insolent, et le désir d’en faire parade en ma présence.

La veille, j’avais remarqué qu’il cherchait à faire boire M. Wickfield ; et, sur un regard que m’avait lancé Agnès en quittant la chambre, j’avais proposé, au bout de cinq minutes, que nous allassions rejoindre miss Wickfield au salon. J’étais sur le point d’en faire autant, mais Uriah me devança.

« Nous voyons rarement notre visiteur d’aujourd’hui, dit-il en s’adressant à M. Wickfield assis à l’autre bout de la table (quel contraste dans les deux pendants !), et si vous n’y aviez pas d’objection, nous pourrions vider un ou deux verres de vin à sa santé. Monsieur Copperfield, je bois à votre santé et à votre prospérité ! »

Je fus obligé de toucher, pour la forme, la main qu’il me tendait à travers la table, puis je pris, avec une émotion bien différente, la main de sa pauvre victime.

« Allons, mon brave associé, dit Uriah, permettez-moi de vous donner l’exemple, en buvant encore à la santé de quelque ami de Copperfield ! »

Je passe rapidement sur les divers toasts proposés par M. Wickfield, à ma tante, à M. Dick, à la Cour des Doctors’-Commons, à Uriah. À chaque santé il vidait deux fois son verre, tout en sentant sa faiblesse et en luttant vainement contre cette misérable passion : pauvre homme ! comme il souffrait de la conduite d’Uriah, et pourtant comme il cherchait à se le concilier. Heep triomphait et se tordait de plaisir, il faisait trophée du vaincu, dont il étalait la honte à mes yeux. J’en avais le cœur serré ; maintenant encore, ma main répugne à l’écrire.

« Allons, mon brave associé, dit enfin Uriah ; à mon tour de vous en proposer une ; mais je demande humblement qu’on nous donne de grands verres ; buvons à la plus divine de son sexe. »

Le père d’Agnès avait à la main son verre vide. Il le posa,