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Je répondis que cela me plaisait aussi.

« Et puis pour un ou deux shillings de gâteaux et de fruits ? dit Steerforth, n’est-ce pas, petit Copperfield ! »

Je souris parce qu’il souriait, mais malgré ça je ne savais trop qu’en penser.

« Bon ! dit Steerforth, cela durera ce que ça pourra, après tout. Vous pouvez compter sur moi. Je sors quand cela me plaît, je passerai le tout en contrebande. » Et en même temps il mit l’argent dans sa poche, en me recommandant de ne pas m’inquiéter : il veillerait à ce que tout se passât bien.

Il tint parole, et on pouvait dire que tout se passât bien, lorsqu’au fond du cœur je sentais que c’était mal, que c’était faire un mauvais usage des deux demi-couronnes de ma mère ; je conservai pourtant le morceau de papier qui les enveloppait : précieuse économie ! Quand nous montâmes nous coucher, il me montra le produit de mes sept shillings, et posant le tout sur mon lit, à la lueur de la lune, il me dit :

« Voilà tout, jeune Copperfield, vous avez là un fameux gala ! »

Je ne pouvais songer, vu mon âge, à faire les honneurs du festin, quand j’avais là Steerforth pour les faire : ma main tremblait à cette seule pensée. Je le priai de vouloir bien y présider, et ma requête fut appuyée par tous les élèves du dortoir. Il accepta, s’assit sur mon oreiller, fit circuler les mets avec une parfaite équité, je dois en convenir, et nous distriua le cassis dans un petit verre sans pied, qui lui appartenait. Quant à moi, j’étais assis à sa gauche, les autres étaient groupés autour de nous, assis par terre sur les lits les plus rapprochés du mien.

Comme je me rappelle cette soirée ! Nous parlions à voix basse, ou plutôt ils parlaient et je les écoutais respectueusement ; les rayons de la lune tombaient dans la chambre à peu de distance et dessinaient de leur pâle clarté une fenêtre sur le parquet. Nous restions presque tous dans l’ombre, excepté quand Steerforth plongeait une allumette dans sa petite boîte de phosphore, pour aller chercher quelque chose sur la table, lumière bleuâtre qui disparaissait aussitôt. Je me sens de nouveau saisi d’une certaine terreur mystérieuse ; il fait sombre, notre festin doit être caché, tout le monde chuchote autour de moi, et j’écoute avec une crainte vague et solennelle, heureux de sentir mes camarades autour de moi, et très-effrayé (bien que je fasse semblant de rire) quand Traddles prétend apercevoir un revenant dans un coin.