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« Pouvez-vous faire cuire le déjeuner de ce jeune monsieur, je vous prie, dit le maître d’études de Salem-House.

— Si je le peux ? dit la vieille femme ; mais oui, certainement.

— Comment va mistress Fibbitson aujourd’hui ? » dit le maître d’études en regardant une autre vieille femme assise sur une grande chaise près du feu ; elle avait si bien l’air d’un paquet de vieux chiffons, qu’à l’heure qu’il est je me félicite encore de ce que je n’ai pas commis l’erreur de m’asseoir dessus.

« Ah ! elle ne va pas trop bien, dit la première vieille femme ; elle est dans un de ses mauvais jours. Je crois vraiment que, si par malheur le feu s’éteignait, elle s’éteindrait avec lui pour ne plus jamais revenir à la vie. »

Ils la regardaient tous deux, je fis de même. Bien qu’il fît très-chaud dehors, elle semblait ne songer à rien au monde qu’au feu. Je crois même qu’elle était jalouse de la casserole, et j’ai quelque soupçon qu’elle lui en voulait de lui cacher le feu pour faire cuire mon œuf et frire mon lard, car je la vis me montrer le poing quand tout le monde avait le dos tourné, pendant ces opérations culinaires. Le soleil entrait par la petite fenêtre mais elle lui tournait le dos, et, assise dans sa grande chaise qui tournait aussi le dos au soleil, elle semblait couver le feu comme pour lui tenir chaud, au lieu de s’y chauffer elle-même, et elle le surveillait d’un œil méfiant. Lorsqu’elle vit que les préparatifs de mon déjeuner touchaient à leur terme et que le feu allait enfin être délivré, elle éclata de rire dans sa joie, et je dois dire que son rire était loin d’être mélodieux.

Je m’assis en face de mon pain de seigle, de mon œuf, de ma tranche de lard, auxquels s’était ajoutée une jatte de lait, et je fis un repas délicieux. J’étais encore à l’œuvre lorsque la vieille femme qui habitait la maison, dit au maître d’études :

« Avez-vous votre flûte sur vous ?

— Oui, répondit-il.

— Jouez-en donc un petit air, dit la vieille femme d’un ton suppliant. Je vous en prie. »

Le maître d’études mit la main sous les pans de son habit et sortit les trois morceaux d’une flûte qu’il remonta, puis il se mit immédiatement à jouer. Mon opinion, après bien des années de réflexions, c’est que personne au monde n’a jamais