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très-malheureux (de mon peu de succès, veux-je dire, car je l’étais toujours en songeant à Dora) si je n’avais été récréé par la bonne humeur de mes hôtes et par une idée lumineuse de M. Micawber.

« Mon cher Copperfield, dit M. Micawher, il arrive des accidents dans les maisons les mieux tenues ; mais dans les ménages qui ne sont pas gouvernés par cette influence souveraine qui sanctifie et rehausse le… la… en un mot, par l’influence de la femme revêtue du saint caractère de l’épouse, on peut les attendre à coup sûr, et il faut savoir les supporter avec philosophie. Si vous me permettiez de vous faire remarquer qu’il y a peu de comestibles qui vaillent mieux dans leur genre qu’une grillade, je vous dirais qu’avec la division du travail, nous pourrions arriver à un excellent résultat de cette nature, si la jeune personne qui vous sert pouvait seulement nous procurer un gril ; je vous réponds qu’alors ce petit malheur serait bientôt réparé. »

Il y avait dans l’office un gril sur lequel on faisait cuire, tous les matins, ma tranche de lard : on l’apporta en un clin d’œil et on s’appliqua à l’instant à mettre à exécution l’idée de M. Micawber. La division du travail qu’il avait conçue s’accomplissait ainsi : Traddles coupait le mouton par tranches, M. Micawber, qui avait un grand talent pour toutes les choses de ce genre, les couvrait de poivre, de sel et de moutarde ; je les plaçais sur le gril, je les retournais avec une fourchette, puis je les enlevais sous la direction de M. Micawber, pendant que mistress Micawber faisait chauffer et remuait constamment de la sauce aux champignons dans une petite écuelle. Quand nous eûmes assez de tranches pour commencer, nous tombâmes dessus avec nos manches encore retroussées et une nouvelle série de grillades devant le feu, partageant notre attention entre le mouton en activité de service sur nos assiettes et celui qui cuisait encore.

La nouveauté de ces opérations culinaires, leur excellence, l’activité qu’elles exigeaient, la nécessité de se lever à tout moment pour regarder les tranches qui étaient devant le feu et de se rasseoir à tout moment pour les dévorer à mesure qu’elles sortaient du gril, tout chaud tout bouillant ; nos teints animés par notre ardeur et par celle du feu, tout cela nous amusait tant, qu’au milieu de nos rires folâtres et de nos extases gastronomiques, il ne resta bientôt plus du gigot que l’os ; mon appétit avait reparu d’une manière merveilleuse. Je